Devoir de loyauté renforcé de l’acquéreur d’une société dont il est dirigeant
24.10.18Loyauté du dirigeant qui négocie la vente des actions ou parts sociales
Par une décision rendue le 10 juillet 2018, la Cour de cassation vient rappeler le devoir de loyauté du dirigeant lorsqu’il se porte acquéreur de parts sociales de la société auprès de ses coassociés.
Importante différence de valorisation des parts sociales entre l’achat et la revente
Dans une SARL détenue à 50% par deux associés égalitaires, l’un des deux exerçait les fonctions de gérant, tandis que l’autre associé était inactif dans la société.
Le gérant-associé a acheté à son coassocié ses parts sociales à leur valeur nominale pour un montant de 25 000 euros. A cette occasion, il lui remboursait également son compte courant d’associé d’un montant de 38.028,45 euros.
Dans un second temps, le gérant devenu associé à 100% des parts sociales a apporté l’intégralité de ses parts de la SARL à une SA. La valorisation des actions était alors fixée à 475 000 euros.
La SARL était transformée ensuite en SAS et l’ensemble des actions vendues à un tiers pour 528 000 euros. Cette opération avait lieu à peine trois mois après la première acquisition des parts de la SARL par le gérant. Il est important de souligner un fait qui a été discuté pendant la procédure, à savoir que les discussions avec le tiers avaient commencé lorsque le coassocié historique était en train de vendre ses parts sociales à son coassocié gérant.
Validité du consentement du vendeur des parts sociales selon la Cour d’appel
Dans ce contexte, l’associé non-gérant a appris pour quel montant l’intégralité des parts sociales avaient été finalement cédées à un tiers et s’est logiquement sentie lésé. L’avocat de cet associé a présenté une demande de dommages et intérêts fondée sur le dol, et plus précisément la réticence dolosive, c’est-à-dire la « dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » selon la définition du Code civil.
La Cour d’appel a rejeté la demande de la société. Les juges relèvent que les pourparlers avec le tiers intéressé par l’intégralité des parts sociales qui étaient en cours étaient peu avancés. Ainsi, pour les juges d’appel le consentement du cédant n’aurait pas pu être influencé s’il en avait eu connaissance. Pour la Cour d’appel la cession des parts sociales s‘était donc déroulée parfaitement normalement. La vente des parts sociales par la société Pléiade a donc été considérée comme valable et n’a pas été remise en cause.
Devoir de loyauté du vendeur des parts sociales
La Cour de cassation retient cependant la responsabilité du coassocié vendeur en raison de son niveau de connaissance de la société en tant que gérant de la société. Pour la Cour de cassation, la loyauté consiste à révéler des informations relatives à des pourparlers en cours. Toutes les informations susceptibles d’influer sur le consentement du cocontractant doivent être révélées. Or, le fait d’exercer un mandat de gérant permet d’avoir une large visibilité, notamment sur la comptabilité et les opérations de la société vendue. Dans le cadre d’une cession de parts, le cocontractant, qui dispose d’informations, doit alors, selon les juges, livrer spontanément ces informations et ne peut pas se contenter de répondre aux demandes de documents de la part de l’autre cocontractant.
La Cour de cassation profite ainsi de cet arrêt pour rappeler très clairement le principe de loyauté à la charge du dirigeant acquéreur de titres de sa société dans la cession d’entreprise soumise au droit français en précisant que « manque à son devoir de loyauté le dirigeant cessionnaire qui n’informe pas l’associé cédant de négociations en cours avec un tiers en vue de la revente des titres objet de la cession, peu important leur état d’avancement ».
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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