Garantie de l’acquéreur de parts sociales d’une société déficitaire
30.01.19Une coassociée acquiert le reste des parts sociales et fait valoir une garantie
La Cour suprême fédérale allemande (Bundesgerichtshof, BGH) a précisé dans sa décision du 26 septembre 2018, les conditions dans lesquelles la garantie du vendeur pour une vente de choses pouvait s’appliquer à une acquisition de participation (share deal) dans une société, en l’occurrence une société à responsabilité limitée de droit allemand (GmbH).
La cessionnaire et la cédante étaient des sociétés commerciales actives dans le secteur de l’énergie. Elles étaient coassociées à hauteur de 50% chacune dans une GmbH dans le cadre d’une joint-venture. A la suite de divergences, les parties ont envisagé la vente des parts détenues par la cédante dans l’entreprise commune au profit de la cessionnaire.
A la date de référence pour l’évaluation, le 31 décembre 2010, la cessionnaire et la cédante se basaient sur une valeur globale de la SARL de droit allemand d’un montant de 8 377 000,00 €. Sur cette base, la cédante a cédé ses parts de la GmbH pour un prix de vente de 4 188 000,00€. L’acte de vente du 5 octobre 2011 contenait en lien avec ce prix la clause suivante : « toute garantie légale est exclue dès lors que la loi autorise cette exclusion ».
Un audit ultérieur révèle un déficit important de la GmbH
Le rapport d’audit pour l’approbation des comptes de la GmbH pour l’année 2011 a révélé cependant pour les années 2008 à 2010 un déficit à imputer d’un montant de 12 951 000,00 €. La cessionnaire avait donc conclu une transaction très défavorable et a porté l’affaire devant la justice. Dans le cadre de son action, la cessionnaire demandait le remboursement du prix de vente payé en argumentant que les deux parties avaient par erreur méconnu le déficit important et auraient fixé un prix de vente au mieux à zéro, si elles s’étaient basées sur les chiffres d’affaires exacts.
Pas de droit à remboursement du prix de vente pour les tribunaux de première et deuxième instance
Le Tribunal de grande instance (Landgericht) de Constance a rejeté la demande dans sa décision du 27 février 2015 (Az.: 9 O 4/14). La cessionnaire a fait appel mais a de nouveau perdu. En effet, dans sa décision du 10 août 2017 (Az.: 13 U 44/15), la Cour d’appel (Oberlandesgericht) de Karlsruhe a refusé le remboursement du prix de vente au motif que le droit de la vente allemand relatif à la garantie pour vice sur la chose en cas de vente d’un bien corporel selon les paragraphes 434 et suivants du BGB (Code civil allemand) était applicable en principe dans le cas d’espèce. Pour les juges de la cour d’appel, le share deal ne devait pas être ici considéré, comme c’est le cas dans certaines constellations, comme la vente d’un droit, mais comme une vente d’entreprise (asset deal) et donc une vente de bien corporel. Pour en arriver à cette conclusion, les juges ont retenu que, grâce à l’acquisition des parts, la cessionnaire détenait la totalité des parts sociales de la GmbH. Cela a ensuite permis aux juges d’appliquer la clause du contrat de vente d’exclusion de garantie pour vice sur la chose.
L’acquisition de 50 % des parts est une vente d’un bien incorporel et exclut la garantie pour vice matériel
La cessionnaire a formulé un pourvoi en cassation devant le BGH (Bundesgerichtshof, équivalent allemand de la Cour de cassation). Le BGH a cassé la décision de la cour d’appel au motif suivant : une vente de parts sociales ne peut pas être considérée comme une vente d’un bien corporel, si la cessionnaire détenant déjà 50 % des parts acquiert les autres 50 % des parts d’une entreprise. Le contrat de vente porte uniquement sur la participation de 50% et rien d’autre. La cessionnaire des parts n’acquiert pas un droit direct sur l’entreprise gérée par la GmbH, mais seulement sur les parts sociales. La responsabilité du cédant au titre des vices sur la chose avec l’entreprise est donc en principe exclue en cas d’achat de parts sociales et ne peut qu’exceptionnellement être invoquée en cas de cession d’entreprise. Donc, dans le cas soumis aux juges, il s’agissait d’une vente de droits au titre desquels l’acheteur a une garantie sur leur existence. De ce point de vue, le droit français et le droit allemand ont la même approche. Les droits de l’associé sont d’ailleurs transférés sans vices, même si la société à responsabilité allemande est dans une situation qui justifie l’ouverture d’une procédure collective.
Autrement dit, la cessionnaire n’avait aucune possibilité de faire jouer la garantie pour vices de la chose en raison de la situation de déficit de la société.
Il convient de noter que la Cour de cassation allemande a ouvert une dernière voie de recours à la cessionnaire sur le fondement de l’imprévision (changement de circonstances imprévisible). Les juges du fond ont donc été invités à se pencher sur cette question.
Tirer profit de la liberté contractuelle
On peut aisément déduire de cette décision de justice que les acheteurs potentiels ont tout intérêt à prévoir des clauses, comme par exemple une garantie de solvabilité de la société dont les parts sociales font l’objet de la négociation. A défaut d’une telle convention, l’acheteur peut éventuellement engager la responsabilité du vendeur pour violation de ses obligations précontractuelles ou invoquer l’imprévision dans le contrat, comme l’a suggéré dans le cas exposé la Cour de cassation allemande, mais cela est bien entendu plus compliqué.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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