Cessionnaire du fonds de commerce et rupture brutale des relations commerciales
07.12.15Rupture brutale des relations commerciales et calcul de la durée de la relation
En raison de la nature particulière des relations commerciales existant entre opérateurs économiques, le législateur français a prévu à l’article L.442-6,I,5° du Code de Commerce que la rupture de celles-ci, lorsqu’elle est décidée par l’une des parties, ne devait pas avoir lieu de manière trop « soudaine », lorsque ces relations sont stables et régulières. Il convient en effet d’après cette règle légale, pour celui qui décide de mettre un terme à ces relations, d’observer un délai de préavis qui varie en fonction de la durée de la relation commerciale et du degré de dépendance économique. Ainsi, l’entreprise qui rompt de manière « brutale » ses relations commerciales sera condamnée au paiement de dommages et intérêts au profit du contractant éconduit.
Afin que la rupture ne soit pas considérée comme « brutale » et donc fautive, il est nécessaire que l’entreprise qui souhaite y mettre un terme, en informe son partenaire commercial suffisamment tôt avant la date effective de la rupture. La loi française ne fixe aucun délai précis, de sorte que c’est aux juridictions commerciales qu’il revient, au cas par cas, d’apprécier le caractère « brutal » ou non de la rupture, en tenant compte d’un certain nombre de critères, dont la durée des relations commerciales.
La question se pose de savoir comment la durée est décomptée lorsque l’une des deux entreprises a été cédée et que le repreneur met un terme à la relation commerciale qui avait été instituée par son prédécesseur. En une telle hypothèse, le repreneur (cessionnaire du fonds de commerce) doit-il tenir compte de la durée des relations commerciales qui existaient entre son prédécesseur et le partenaire commercial, afin de déterminer le délai dans lequel celui-ci doit être informé de la rupture ?
Cessionnaire du fonds de commerce et durée des relations commerciales
C’est la question qui a été soumise à la chambre Commerciale de la Cour de Cassation qui, par une décision du 15 septembre 2015 (n°14-17964) a tranché en faveur du cessionnaire à l’initiative de la rupture.
Une société (société A) qui exploitait un fonds de commerce de négoce de boisson avait noué des relations commerciales avec une autre société qui assurait le transport d’approvisionnement en boissons pour ce fonds de commerce (société B) depuis 1998.Le 1er octobre 2005, la société A a mis son fonds de commerce en location-gérance au profit d’une autre société (société C) avant de le lui céder le 30 mars 2006. La société C, qui avait poursuivi la relation commerciale avec la société B tout au long de la location-gérance, l’a informée le 14 avril 2006 qu’elle comptait assurer elle-même le transport d’approvisionnement et que, par conséquent, elle mettait fin à leurs relations commerciales au mois d’août 2006.
La société B estimant que la « durée des relations commerciales initialement nouées avec le cédant » (société A) devait être prise en compte pour la détermination du préavis, a considéré que la durée du préavis fixé par la société C’était insuffisante et que par conséquent celle-ci avait rompu de manière «brutale» leurs relations commerciales. La société B a ainsi assigné la société C en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 442-6,I,5° du Code de Commerce.
En cas de cession du fonds de commerce, la durée totale de la relation avec le partenaire n’est pas prise en compte
La demande de la société B a été rejetée par les juges de première instance ainsi que par la Cour d’Appel de Paris qui n’ont pas suivi le même raisonnement. La Cour de Cassation confirme les décisions rendues précédemment en précisant que le simple transfert de fonds de commerce n’a pas eu pour effet de «substituer» le cessionnaire «de plein droit» au «cédant dans les relations contractuelles et commerciales que le cédant entretenait» avec la société B.
Par voie de conséquence, la Cour de Cassation conclut que le « préavis dont devait bénéficier la société B n’avait pas à être déterminé en considération de la relation précédemment nouée avec la société A ».
En conclusion, le repreneur d’un fonds de commerce qui souhaite mettre fin à une relation commerciale établie, n’a pas à tenir compte de la durée des relations précédant la cession afin de déterminer la durée du préavis. Seule la durée de la relation commerciale existant entre le repreneur et le partenaire commercial devra être prise en compte.
Cette solution adoptée par les magistrats est à saluer car la solution inverse aurait fait peser un risque lié au passé du cédant sur le repreneur, ce qui est contraire à l’esprit de l’Asset Deal.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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