Evaluation du préjudice causé par un acte de concurrence déloyale
12.05.20Présomption de préjudice en présence d’un acte de concurrence déloyale
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 12 février 2020, est venue préciser la jurisprudence rendue par la chambre commerciale en matière d’évaluation du préjudice résultant d’un acte de concurrence déloyale.
En droit français, la personne qui se prétend victime d’un préjudice est en principe tenu de le prouver. La juridiction commerciale, au regard de la jurisprudence antérieure, a néanmoins présumé qu’un acte de concurrence déloyale causait nécessairement un préjudice à la victime de celui-ci.
Cette présomption doit permettre aux juges d’évaluer plus facilement le préjudice lorsque celui-ci est particulièrement difficile à démontrer. Tel est particulièrement le cas d’un préjudice résultant d’un acte de concurrence déloyale.
Economie pour l’auteur grâce à son acte de concurrence déloyale
La Chambre commerciale apporte dans l’arrêt du 12 février 2020 ensuite une réelle précision en matière de responsabilité civile pour concurrence déloyale. Elle accepte que le préjudice causé par un acte de concurrence déloyale puisse être évalué en considération de l’économie injustement réalisée par l’auteur de la pratique déloyale, au détriment de ses concurrents, modulée à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectées par ces actes.
Il faut rappeler qu’en principe, la responsabilité civile extracontractuelle doit permettre de réparer le préjudice subi par la victime et seulement celui-ci, sans qu’il puisse en résulter ni perte ni profit pour cette dernière, l’économie réalisée par l’auteur du dommage ne pouvant permettre d’évaluer un préjudice.
Des actes de concurrence déloyale dans le domaine de la cristallerie
Le litige présenté devant la Chambre commerciale opposait la Société Cristal de Paris à la Société Cristallerie de Montbronn, deux sociétés directement concurrentes sur un marché restreint, le marché de la cristallerie. Ces sociétés avaient leurs sièges sociaux dans la même rue à Montbronn, une petite commune du département de la Moselle. La Société Cristallerie de Montbronn est une petite société spécialisée dans la création et la fabrication de produits d’arts de la table en cristal contrairement à la société Cristal de Paris, qui, elle commercialise des produits en cristal fabriqués, taillés et polis en Chine et en Europe ainsi que des produits en verre, cristallin et luxion.
La Société Cristallerie de Montbronn a intenté une action en justice à l’encontre de la Société Cristal de Paris devant la Cour d’appel de Paris. Elle reprochait à la société défenderesse d’être l’auteure une pratique commerciale trompeuse consistant à présenter dans ses catalogues des produits en verre, en cristallin ou luxion mélangés à des produits en cristal afin de laisser croire que l’ensemble serait en cristal, à les présenter comme étant « made in France » et à se présenter elle-même comme un « haut lieu du verre taillé en Lorraine » et un « spécialiste de la taille ».
La société demanderesse a demandé à la Cour d’appel de prononcer la cessation de la pratique commerciale trompeuse et l’indemnisation du préjudice subi.
La Cour d’appel a accepté sa demande. Elle relève que la pratique commerciale trompeuse sur la taille Made in France a permis à la société fautive d’obtenir des prix de revient largement plus bas que ceux obtenus par la société victime.
Production plus onéreuse pour la victime de la tromperie
Afin de calculer le montant de l’indemnisation, elle a tenu compte du montant correspondant à la charge d’emploi de ces sociétés, la société fautive pouvant se permettre d’employer un nombre de personnes beaucoup plus restreint que la société victime, et de leurs chiffres d’affaires respectifs.
Suite à cet arrêt, la société Cristal de Paris a formé un pourvoi en cassation devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation et a reproché à la société Cristallerie de Montbronn d’avoir pris en compte l’économie réalisée par cette dernière afin d’évaluer le préjudice subi.
La Cour de cassation a finalement rejeté la demande formée par la société Cristal de Paris.
Elle a tout d’abord présumé, au regard de la jurisprudence antérieure de droit commercial, qu’un acte de concurrence déloyale causait nécessairement un préjudice à la victime de celui-ci, fût-il seulement moral. Cette présomption doit permettre aux juges d’évaluer plus facilement le préjudice lorsque celui-ci est particulièrement difficile à démontrer. Tel est le cas d’un préjudice résultant d’un acte de concurrence déloyale. Un acte de concurrence déloyal cause, en effet, un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.
La Haute juridiction a, ensuite, accepté la méthode d’évaluation du préjudice retenue par la Cour d’appel de Paris. Le préjudice causé par un acte de concurrence déloyale peut être évalué en considération de l’économie injustement réalisée par l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulée à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes.
Cette jurisprudence récente est donc favorable aux entreprises victimes d’actes de concurrence déloyale.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
Tous droits de propriété intellectuelle réservés
Photo : nokonoko