Contrat d’assurance et indemnisation en période de pandémie
05.05.21En plus de bouleverser profondément et durablement la vie quotidienne des Français, la pandémie de covid-19 a également engendré de nombreuses questions juridiques. Le droit des affaires a tenté de répondre à la crise du coronavirus, mais n’a pas toujours été en mesure de le faire. De nombreux litiges sont également survenus. Parmi les plus courants se trouvent les différends opposant les entreprises, comme par exemple les restaurateurs, à leurs assureurs, lorsque ces derniers refusent de les indemniser malgré les longues périodes de fermeture imposées par les mesures gouvernementales anti-covid. Dans un arrêt du 25 février 2021 (n° 20/10357), la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a fait droit à la demande d’indemnisation d’un restaurateur, auquel son assureur opposait une fin de non-recevoir.
Assurance contre les pertes d’exploitations pour épidémie
Le 23 août 2017, une société exploitant un fonds de commerce de restauration à Marseille a souscrit un contrat d’assurance multirisque professionnelle auprès d’AXA, comportant une garantie « pertes d’exploitation suite à fermeture administrative », lorsque deux conditions sont réunies :
- « la décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous même (au restaurateur) ;
- la décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication. »
Ainsi, les pertes d’exploitation sont notamment garanties lorsque la décision de fermeture est la conséquence d’une épidémie. Cependant, la garantie souscrite était assortie d’une clause d’exclusion ainsi rédigée :
« Sont exclues : les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
Pertes d’exploitations pour fermeture liée à la crise sanitaire
Le 14 mars 2020, un arrêté ministériel interdisant aux restaurants et débits de boisson de recevoir du public à compter du 15 mars 2020 a été édicté. Cette mesure fut prolongée jusqu’au 2 juin 2020, sans compter les nouvelles périodes de fermeture décidées postérieurement.
Le 23 avril 2020, le restaurateur, convaincu d’être assuré pour ce type de situation, effectuait une déclaration de sinistre auprès de son assureur AXA, afin que celui-ci l’indemnise de ses pertes d’exploitation en raison de l’interdiction de recevoir du public décidée par le Gouvernement. Cependant, l’assureur opposait un refus de garantie en se prévalant de la clause d’exclusion précitée. Le restaurateur a donc assigné son assureur devant le Tribunal de commerce de Marseille.
Clause de la police d’assurance soumise aux juges
Le Tribunal de commerce de Marseille a fait droit aux demandes du restaurateur en réputant non-écrite la clause d’exclusion de garantie et en condamnant l’assureur à indemniser les pertes d’exploitation subies par le restaurateur durant la période de fermeture.
L’assureur a interjeté appel de la condamnation, ce qui donné l’occasion aux juges de donner des précisions sur leur interprétation des clauses des contrats d’assurance en période de pandémie.
L’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a le mérite de la pédagogie. Dans leur décision, les magistrats commencent par utilement rappeler les normes applicables au litige et notamment les articles 1170 et 1171 du code civil. Selon le premier de ces textes, toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, tandis que le second prévoit que dans un contrat d’adhésion (un contrat d’assurance en est un), toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties est réputée non écrite.
S’agissant spécifiquement des contrats d’assurance, les juges indiquent qu’au visa de l’article L113-1 alinéa 1 du code des assurances, les clauses d’exclusion de garantie doivent être formelles et limitées, ce qui n’est pas le cas dès lors qu’elles doivent être interprétées et qu’elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées.
Enfin, conformément aux articles 1190 et 1191 du code civil, la Cour rappelle que lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, dans le doute, il convient de privilégier l’interprétation d’une clause favorable au débiteur, et, lorsqu’une clause est susceptible deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun.
Clause de l’assureur excluant l’assurance en cas de fermeture
La décision de la cour d’appel retient qu’en matière d’assurance, l’assuré doit connaître l’étendue des garanties incluses dans le contrat d’assurance qu’il a souscrit et être en mesure de les comprendre. Pour rappel, la clause garantissant les pertes d’exploitation prévoit qu’elle s’applique si la décision de fermeture est, entre autres, la conséquence d’une maladie contagieuse ou d’une épidémie. Au regard des pièces produites par les parties, il apparaît que si une épidémie peut être définie comme étant le résultat du développement et de la propagation rapide d’une maladie contagieuse dans une population, cette population peut être celle d’un lieu limité, mais aussi d’un village, d’une ville, d’une région, d’un ou de plusieurs pays. Or, le contrat d’assurance ne contient aucune distinction quant à la population visée, pas plus qu’il ne comporte de définition des termes maladie contagieuse ou épidémie. Dès lors, les magistrats en déduisent que l’obligation essentielle de l’assureur est celle d’indemniser son assuré des pertes d’exploitation subies suite à fermeture administrative en raison d’une épidémie, de manière générale.
Sur cette base, l’arrêt analyse le litige opposant les parties à l’une de cette obligation essentielle pesant sur l’assureur. Il retient que les pertes d’exploitation du restaurateur sont dues aux différentes décisions administratives interdisant au restaurateur de recevoir du public, qu’il assimile à une fermeture administrative.
La clause d’exclusion de garantie invoquée par l’assureur prévoit l’absence d’indemnisation des pertes d’exploitation subies par le restaurateur lorsqu’au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.
Selon les magistrats, elle n’est donc pas limitée, contrairement à ce qu’exige pourtant l’article L 113-1 alinéa 1 du code des assurances, puisqu’elle vise tout établissement quelle que soit sa nature et son activité et se réfère à un territoire bien plus vaste qu’un village ou une ville. La clause d’exclusion ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées. Ne satisfaisant pas aux conditions légales encadrant les clauses d’exclusion de garantie dans les contrats d’assurance, ladite clause ne peut qu’être réputée non-écrite.
Il en va de même s’agissant des règles du droit commun des contrats et notamment de l’article 1170 du code civil rappelé ci-avant. Par définition, une épidémie se répand largement au sein d’un territoire et d’une population donnée. Il était donc évident que sur un même territoire, plusieurs établissements de restauration seraient concernés par une fermeture administrative liée à ladite épidémie. Une garantie assortie d’une telle clause d’exclusion de garantie revient donc à faire dépendre l’octroi d’une indemnisation de la même condition que son refus : l’existence d’une épidémie qui, par nature, touche nécessairement d’autres établissements. Appliquer purement et simplement la clause d’exclusion de garantie reviendrait donc à dire « nous assurons le risque épidémie, sauf en cas d’épidémie ». L’absurdité d’une telle clause n’a pas échappé à la Cour d’Appel, qui en déduit fort logiquement qu’elle vide de sa substance l’obligation essentielle de l’assureur d’indemniser son assuré des pertes d’exploitation subies suite à fermeture administrative en raison d’une épidémie.
Comme pour entériner leur décision, les magistrats relèvent d’ailleurs que le 28 octobre 2020, soit après le début de la pandémie, l’assureur AXA a proposé à son assuré un avenant définissant cette fois avec précision les termes épidémie et pandémie et excluant de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une épidémie et à une pandémie.
Le jugement rendu en première instance par le tribunal de commerce de Marseille est donc confirmé en ce qu’il a réputé non-écrite la clause d’exclusion de garantie. Cet arrêt d’appel n’est toutefois qu’une goutte d’eau face à la multitude des litiges similaires actuellement pendants devant les juridictions et ne saurait être regardé comme un arrêt de principe, tant les décisions sont susceptibles de varier en fonction des clauses des contrats d’assurance et aussi des juges saisis. On rappellera en effet que si de nombreux jugements de première instance ont condamné les assureurs à indemniser les entreprises assurées, d’autres ont parfois donné raison aux assureurs. Tout dépend en réalité des faits soumis à l’appréciation des juges et de la rédaction des clauses d’exclusion de garantie. Mais le mérite de cette décision du 25 février 2021 est de rappeler les bases légales qui peuvent être invoquées en justice.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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