La faute grave de l’agent commercial connue après la résiliation du contrat et l’indemnité de rupture
11.01.23L’indemnité de rupture que l’agent commercial espère obtenir à la fin de son contrat d’agence commerciale avec l’entreprise qu’il représente fait l’objet d’un contentieux important. Les montants en jeu sont en effet souvent élevés en droit français de l’agence commerciale et chacun campe sur ses positions. L’entreprise essaie notamment souvent d’échapper au paiement de l’indemnité de rupture en affirmant qu’elle a pris l’initiative de la rupture du contrat mais que c’est à cause d’une faute de l’agent commercial. Logiquement, une faute commise avant la rupture du contrat d’agence commerciale justifie le non-paiement de l’indemnité de rupture.
Mais qu’en est-il si l’entreprise découvre la faute de l’agent commercial après avoir déjà résilié le contrat d’agence commerciale ? Peut-elle échapper au paiement grâce à cette découverte ? Dans un arrêt du 16 novembre 2022, les hauts-magistrats viennent de donner une toute nouvelle réponse à cette question.
Un manquement grave avéré de l’agent commercial
Les faits à l’origine de l’arrêt sont banals. Depuis 2008, la société Acopal exerçait l’activité d’agent commercial pour le compte de la société Terdis. Leur relation a été formalisée par la conclusion d’un contrat d’agence commercial en 2013. Le contrat a été résilié le 4 mars 2016, à la suite de la lettre de résiliation envoyée par la société Acopal. Cette dernière a ensuite assigné la société Terdis en paiement des indemnités de rupture et de préavis, auxquelles l’agent commercial a en principe droit en vertu de l’article L134-12 du code de commerce.
Postérieurement à la rupture du contrat, la société Terdis a découvert que son agent commercial, la société Acopal, avait, durant l’exécution du contrat, commis un manquement grave à ses obligations en exerçant une activité d’agent commercial également pour la société Georgelin, concurrente de la société Terdis. Or, le contrat d’agence commerciale signé entre les parties stipulait que la société Acopal ne pouvait accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l’objet de ce contrat. L’agent commercial avait donc commis une faute en violant la clause de non concurrence.
En droit, en application de l’article L134-13 du code de commerce, l’agent commercial perd son droit à indemnité notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave. Ce faisant, la Cour d’appel de Versailles, saisie du litige, a rejeté la demande d’indemnité compensatrice de rupture de la société Acopal, retenant que cette dernière avait commis une faute grave en acceptant la représentation de produits concurrents de ceux de la société Terdis. Au surplus, elle a estimé, en se basant sur une jurisprudence de la Cour de cassation bien établie en ce sens, qu’il importait peu que ce manquement qualifié de faute grave n’ait été découvert que postérieurement à la rupture du contrat d’agence commerciale.
Contestant cette décision, la société Acopal s’est pourvue en cassation.
La prise en compte de fautes antérieures à la rupture pour refuser l’indemnité de rupture n’est pas conforme à la jurisprudence européenne
Pour l’agent commercial, la solution retenue par la Cour d’appel de Versailles – conforme à celle de la Cour de cassation jusqu’alors – entrait en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Les articles L134-12 et L134-13 sont issues de la directive européenne du 18 décembre 1986 : ils doivent donc être interprétés à la lumière de celle-ci et de son interprétation par la CJUE. Or, au sujet de l’éventuelle privation d’indemnité de l’agent commercial pour faute grave, la CJUE a, dans un arrêt de 2010 Volvo Car Germany GmbH, considéré que :
- le législateur européen « entendait exiger l’existence d’une causalité directe entre le manquement imputable à l’agent commercial et la décision du commettant de mettre fin au contrat afin de pouvoir priver l’agent commercial de l’indemnité (…) » ;
- « en tant qu’exception au droit à indemnité de l’agent, l’article 18, sous a), de la directive est d’interprétation stricte (…) partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l’indemnité non expressément prévue par cette disposition » ;
- « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l’agent commercial qu’après la fin du contrat, il n’est plus possible d’appliquer le mécanisme [permettant de priver l’agent de son droit à indemnité] par conséquent, l’agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l’existence d’un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat ».
Eu égard à cette jurisprudence de la CJUE, l’agent commercial estimait que les articles L134-12 et L134-13 du code de commerce devaient donc être interprétées de telle manière que seule une faute grave commise avant la rupture du contrat et connue du mandant peut être considérée comme ayant provoqué la rupture, excluant ainsi le droit à indemnité de l’agent commercial. Or, ici, la Cour d’appel de Versailles a estimé qu’il importait peu que la faute grave de l’agent commercialn’ait été découverte que postérieurement à la rupture du contrat d’agence commerciale, alors que cette circonstance excluait toute causalité directe entre la faute grave et la rupture du contrat. Elle aurait donc violé les articles ci-dessus lus à la lumière de l’interprétation de la directive européenne de 1986.
La faute de l’agent commercial découverte après la rupture ne joue aucun rôle
Les motivations de la Cour de cassation ont le mérite d’être claires voire pédagogiques. Dans leur arrêt, les hauts-magistrats commencent par rappeler que la chambre commerciale juge régulièrement que les manquements graves commis par l’agent commercial pendant l’exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l’agent commercial de son droit à indemnité. Par exemple, la baisse du chiffre d’affaires peut constituer une faute grave de l’agent commercial.
Toutefois, ils reprennent à leur compte les arguments de la société Acopal basée sur l’arrêt Volvo Car Company GmbH évoqué ci-dessus. Ainsi, une faute grave commise antérieurement à la rupture du contrat, mais découverte postérieurement à celle-ci, ne peut avoir pour effet de priver l’agent commercial de son droit à indemnité. Comme pour enfoncer le clou, la Cour ajoute qu’en 2018, la CJUE a également jugé, qu’est exclue toute interprétation de l’article 17 de la directive de 1986 – assurant le droit à indemnité de l’agent commercial lors de la cessation du contrat – qui pourrait s’avérer être au détriment de l’agent commercial.
Ce faisant, la Cour explique qu’il lui apparait nécessaire de modifier sa jurisprudence. Désormais, il convient de retenir que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.
Conclusion : La solution retenue, tant par la CJUE depuis 2010 que par la Cour de cassation désormais, peut surprendre en ce qu’elle semble donner un blanc-seing à l’agent commercial pour violer ses obligations contractuelles. Elle donne quelque peu l’impression que la règle du « pas vu, pas pris » s’applique dans ce cas de figure, ce qui pourrait sembler inéquitable du point de vue du mandant. Mais cette solution est logique, puisque la motivation de l’entreprise pour résilier le contrat d’agence commerciale n’avait rien à voir avec une quelconque faute de l’agent commercial, puisque celle-ci était inconnue à ce moment-là.
D’un autre côté, on objectera que l’agent commercial est souvent la partie faible au contrat, disposant d’une manne financière réduite par rapport à celle de son mandant, de sorte qu’il peut paraître logique de le « surprotéger » s’agissant de son droit à indemnité.
Par ailleurs, d’un point de vue strictement juridique, on s’étonnera qu’il ait fallu autant de temps à la Cour de cassation pour mettre sa jurisprudence en conformité avec la position de la CJUE, qui date pourtant de 2010. Il y a fort à parier qu’entre 2010 et 2022, de nombreuses décisions de juges du fond aient été rendues en violation du droit de l’Union européenne.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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