Responsabilité personnelle du gérant qui agit abusivement en justice
16.02.16La responsabilité personnelle du gérant pour faute détachable confirmée dans un arrêt récent
Le gérant d’une SARL assigne un promoteur immobilier pour faire artificiellement barrage à son projet. Dans son arrêt H. c/ Sté Urbat promotion rendu le 10 novembre 2015, la Chambre commerciale de la Cour de cassation illustre une nouvelle fois la notion de faute intentionnelle d’une particulière gravité commise par un gérant et qui de ce fait, est séparable de ses fonctions. La Chambre commerciale a ouvert une nouvelle fois la voie dans un cas spécifique permettant à la SARL d’engager la responsabilité personnelle du dirigeant.
L’épopée judiciaire du gérant de SARL condamné commence devant les juridictions administratives avant de se terminer devant la Cour de cassation. La société Urbat souhaitant réaliser une opération immobilière, a déposé une demande de permis de construire relative à un projet de 118 logements à Marseille. Le permis de construire lui a été délivré. Une SARL a cherché à contester la validité de ce permis de construire. Pour ce faire, le gérant de la SARL a formé un recours devant les juridictions administratives au nom de la société. Ce recours a été déclaré irrecevable par le tribunal administratif. La décision a été confirmée par la Cour administrative d’appel, au motif que le dirigeant n’avait pas d’intérêt à agir. Les juridictions administratives ont ainsi jugé définitivement que le projet immobilier de la société Urbat n’avait aucune répercussion sur l’existence et le fonctionnement de la SARL. Les juges ont condamné en outre le gérant de la SARL à 3000 euros d’amende pour recours abusif.
La société Urbat décide à son tour de former un recours juridictionnel afin de voir condamnée la SARL qui a tenté d’anéantir ses projets immobiliers.
La reconnaissance de la faute intentionnelle du dirigeant d’une particulière gravité, séparable de ses fonctions
La société Urbat assigne la SARL devant les juridictions civiles en nullité de la société pour fictivité et en dommages-intérêts, en vue de faire sanctionner la SARL pour ses recours qu’elle juge infondés. Elle argue au soutien de son action que la SARL n’avait été constituée qu’à la seule fin de contester le permis de construire et de monnayer un éventuel désistement. Le gérant de cette SARL avait par ailleurs formé d’autres recours à l’encontre d’autres projets immobiliers dans le passé. Tous ses recours ont été rejetés par les juridictions.
Selon la Chambre commerciale, le gérant de la SARL a commis à l’encontre de la société Urbat une faute intentionnelle d’une particulière gravité, séparable de ses fonctions de gérant. La faute séparable des fonctions (ou faute détachable) a été définie par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 mai 2003, et constitue une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales du dirigeant. Par cette construction prétorienne, la règle selon laquelle le dirigeant n’est responsable de ses actes que vis-à-vis de sa société est mise en échec et le dirigeant peut être responsable civilement directement vis-à-vis des tiers.
Dans le présent arrêt du 10 novembre 2015, la Cour de cassation estime que le recours formé par le gérant au nom de sa SARL à l’encontre du permis de construire de la société Urbat est étranger à l’objet et à l’intérêt de la SARL, et que le gérant de cette société a nécessairement agi dans un but d’enrichissement personnel. Le gérant a ainsi constitué la faute intentionnelle d’une particulière gravité séparable de ses fonctions de gérant, et engagé sa responsabilité personnelle. La Cour de cassation confirme ainsi le raisonnement de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Cet arrêt du 10 novembre 2015 s’inscrit dans la droite lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point. La définition que la Cour de cassation retient de la faute séparable des fonctions étant restrictive, la caractérisation de celle-ci par les juges du fond demeure exceptionnelle. Par cette décision, la Chambre commerciale vient dès lors confirmer la définition stricte de la faute détachable précédemment établie par sa jurisprudence.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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