La révocation du dirigeant soumise à l’obligation de loyauté
10.04.17La libre révocabilité des dirigeants de sociétés de capitaux et l’obligation de loyauté
Les dirigeants sociaux sont en principe librement révocables dans la SA et la SAS (sous réserve d’aménagements statutaires), sans qu’il soit besoin d’invoquer un motif. Si la révocation du dirigeant est abusive, le dirigeant peut faire valoir son droit à des dommages et intérêts. Est abusive la révocation brutale du dirigeant, ou bien celle qui s’inscrit dans un contexte de circonstances vexatoires ou injurieuses. Cette protection du dirigeant révoqué repose sur l’obligation générale de loyauté à la charge des organes de révocation.
La libre révocabilité du dirigeant social est contrebalancée par le bénéfice de certaines garanties lors de sa révocation. Les associés doivent tout mettre en œuvre pour que le dirigeant social soit informé des faits qu’on lui reproche. Ainsi, il est en mesure de préparer sa « défense » et pourra présenter ses observations. La jurisprudence récente témoigne dans plusieurs décisions de l’importance accordée à ce principe de loyauté, quelles que soient les raisons de la révocation.
La révocation du dirigeant simultanément salarié reste soumise à l’obligation de loyauté
Dans une décision du 3 mars 2015, la Cour de cassation avait eu l’occasion de se prononcer sur une révocation concernant un dirigeant qui cumulait ses fonctions de dirigeant avec un contrat de travail.
Dans un groupe de sociétés, il bénéficiait à la fois:
- d’un contrat de travail de directeur général adjoint avec la société mère pour gérer plusieurs filiales du groupe
- et de mandats sociaux dans les filiales.
La société mère licencie son directeur général adjoint et révoque ensuite ce dernier de ses mandats sociaux. L’ancien mandataire social saisit les tribunaux d’une demande de dommages et intérêts pour révocation abusive.
Pour la Cour d’appel, dans une affaire jugée le 24 octobre 2013, il était question de savoir si le mandat social était l’accessoire du contrat de travail. Dès lors que ni le contrat de travail ni les documents sociaux n’indiquent un tel lien d’accessoire, le contrat de travail et le mandat social sont distincts.
S’ils sont distincts, la rupture du contrat de travail n’entraine pas automatiquement la révocation des mandats sociaux. Ainsi le dirigeant révoqué aurait dû pouvoir, indépendamment de la procédure prévue par le droit du travail, être informé des motifs de sa révocation et s’exprimer sur celle-ci. La nécessité d’une révocation de son mandat social respectueuse de la procédure du droit des sociétés demeure donc.
La Cour de cassation estime qu’à défaut d’avoir « été mis en mesure de s’exprimer utilement devant les différents organes sociaux investis du pouvoir de le révoquer » le dirigeant a été victime de révocation abusive.
La Cour d’Appel de Paris, dans une affaire similaire jugée le 6 décembre 2016, a précisé encore sa position au sujet de la révocation du dirigeant dans l’hypothèse d’un cumul.
Il était question d’une salariée, qui était à la fois :
- liée par un contrat de travail au sein de la société mère
- nommée présidente d’une filiale comme le prévoyait son contrat de travail
- et présidente d’une seconde filiale.
La directrice est licenciée pour faute grave et révoquée de ses mandats sociaux. L’ancienne directrice réclame des dommages et intérêts sur le fondement de l’obligation de loyauté. La Cour d’Appel décide que la révocation est abusive, car il n’est pas prouvé que la directrice a été avertie de la cessation de ses fonctions au préalable, afin de présenter des observations. Par conséquent, l’obligation de loyauté s’applique même quand il y a une unité de fonctions entre le contrat de travail et le mandat social.
Même en cas de faute grave, la révocation du dirigeant reste soumise à l’obligation de loyauté
Dans un arrêt du 3 mars 2016, la Cour d’appel de Lyon s’est également prononcée sur une question similaire.
Le président d’une SASU a engagé des négociations avec les représentants de la société mère portant sur la vente de l’ensemble des actions de cette dernière. Lors de la réunion du comité d’entreprise, il a informé les salariés du changement de contrôle. Pourtant à ce moment-là les négociations n’étaient pas abouties. Pour avoir donné une information inexacte aux salariés de l’entreprise, il est révoqué par l’actionnaire unique pour motifs graves et légitimes. L’actionnaire s’est contenté d’envoyer un courriel au dirigeant et de déposer le lendemain le procès-verbal de révocation au greffe du tribunal de commerce. Comme le président n’a pas été mis en mesure de présenter ses observations, il soutient que l’obligation de loyauté n’a pas été respectée lors de sa révocation.
La Cour d’appel de Lyon décide que la faute grave du dirigeant social ne dispense pas de faire preuve de loyauté lors de sa révocation. Un dirigeant qui commet un manquement caractérisé à ses obligations de mandataire social, peut ainsi obtenir une indemnisation au titre du caractère abusif de la révocation dès lors que l’organe de révocation a manqué de loyauté à son égard.
Par conséquent, si la libre révocation du dirigeant social est de principe, la prudence reste de mise : il faut toujours permettre au dirigeant de s’exprimer lorsque l’on décide de s’en séparer, même si cette procédure peut souvent relever du pur formalisme aux yeux des décisionnaires.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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