Le droit des comités d’entreprise concernant l’accès aux dossiers personnels des salariés en Allemagne
24.11.20Dans un arrêt du 23 juin 2020, il a été question pour le Tribunal du Travail de Düsseldorf de se prononcer sur la question suivante : les droits d’information du comité d’entreprise allemand englobent-ils la consultation des dossiers personnels individuels des salariés ?
Accès du comité d’entreprise aux dossiers des salariés selon un accord ?
En l’espèce il était question de savoir si un comité d’entreprise était recevable à demander l’accès permanent et général aux dossiers personnels des employés en vertu d’une clause insérée dans un accord d’entreprise. L’employeur ayant refusé cet accès au représentant du comité d’entreprise, une demande a été formée en justice par le comité d’entreprise sur le fondement de dispositions de l’accord d’entreprise en vigueur.
La notion de dossier personnel doit être comprise comme étant un regroupement de divers documents appartenant aux employés. Ainsi, il existe dans toutes les entreprises un dossier personnel pour chaque employé individuellement. Ces dossiers sont constitués des lettres de candidature, des contrats de travail, des formulaires de renseignement personnel ou encore des avertissements. Les informations contenues doivent obligatoirement avoir un intérêt pour l’employeur et présenter un lien avec la relation de travail.
Pas de droit général d’accès du comité d’entreprise au dossier du salarié
A la question de savoir si un accès permanent et général était légalement valable, le Tribunal a tranché en faveur des employés en considérant que même si cela relève des droits des comités d’entreprise, il ne serait pas acceptable d’accorder un droit général d’inspection des dossiers personnels des employés.
Le Tribunal a décidé que cette pratique constitue une violation des articles 1 et 2 de la Loi fondamentale allemande (Grundgesetz), et que même dans le cas où un article de l’accord d’entreprise autoriserait la transmission de ces dossiers personnels, cela ne serait possible que si les employés donnent leur consentement préalable.
Le critère de nécessité retenu par le Tribunal pour justifier sa décision
Pour justifier cette décision le Tribunal fait également référence au critère de nécessité, en considérant qu’il n’est en rien nécessaire au comité d’avoir un accès aussi large aux dossiers personnels. De plus, le caractère confidentiel des informations contenues dans les dossiers ne permettent pas un tel accès au comité d’entreprise, en effet, l’employeur refusant de transmettre ces informations agît correctement dans la mesure où il est tenu par une obligation de confidentialité vis-à-vis de ses employés.
Etant donné que le dossier personnel ne contient que des documents relatifs à la relation de travail, il peut donc être surprenant de refuser un tel accès au comité d’entreprise, si on fait abstraction de la protection des données personnelles. Toutefois, cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une précédente décision (BAG v. 20.12.1988 – 1 ABR 63/87), dans laquelle il a également été fait référence à la notion de nécessité. Cette précédente décision statuait que le comité d’entreprise pouvait avoir accès à certaines informations spécifiques du dossier personnel uniquement lorsque cela s’avère « nécessaire pour que le comité d’entreprise puisse remplir ses fonctions ». Toutefois, cet examen n’est rendu possible que par le consentement de l’employé concerné.
Ainsi, ces deux décisions vont dans le sens du § 80 de la loi sur les comités d’entreprises (Betriebsverfassungsgesetz) qui autorise l’accès aux comités d’entreprise des dossiers personnels des employés uniquement si cet accès s’avère être nécessaire à l’accomplissement de ses tâches et si l’employé concerné y a consenti.
Le renforcement des droits personnels des employés
C’est donc une décision très protectrice des droits personnels des employés qui a été rendue, puisqu’elle rend invalide un article d’un accord d’entreprise, alors même qu’il a été signé et approuvé par les employés. Ainsi, le choix revient donc aux employés qui seuls ont la possibilité d’autoriser le comité d’entreprise à avoir accès à leur dossier personnel. En effet, les dossiers personnels relèvent du droit de la personnalité protégé par le § 75 alinéa 2 de la loi sur les comités d’entreprises (Betriebsverfassungsgesetz), et un accès général violerait ce droit.
Comparaison avec les droits d’accès du comité d’entreprise français
En France, comme en Allemagne, le droit personnel des employés est protégé par la loi, en l’occurrence l’article 9 du Code Civil qui consacre le droit à la vie privée. Dans un arrêt la Cour de Cassation a considéré que les fichiers du personnel n’était pas nécessaire au comité d’entreprise pour la réalisation de ses missions (Cour de cassation, soc., 2 juin 1993, N° 91-13901).
Par conséquent, ces fichiers ne doivent pas être à la libre disposition du comité d’entreprise. Toutefois, ils y ont accès si :
- d’une part l’employeur l’autorise, et
- d’autre part si l’obligation d’information des salariés a été respectée concernant l’utilisation des données et le but poursuivi.
Comme c’est le cas en Allemagne, l’employé a la possibilité de s’opposer à l’accès à son dossier par le comité. Cette opposition se fera par le refus de donner son consentement.
Ainsi, en France comme en Allemagne ce sont donc les critères de nécessité et de consentement qui sont retenus pour autoriser ou non l’accès aux comités d’entreprises des données personnelles des employés.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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