Le conseil de prud’hommes : comment ça marche?

28.11.22  
Le conseil de prud'hommes : présentation de son fonctionnement
Le conseil de prud’hommes : comment ça marche?
Le conseil de prud'hommes : présentation de son fonctionnement

En France, le conseil de prud’hommes (en abrégé : « CPH ») est compétent pour juger des conflits individuels entre employeurs et salariés. Il se distingue assez nettement des tribunaux allemands équivalents, car les juges français ne sont pas des professionnels. C’est en effet une juridiction exclusivement paritaire, comprenant un nombre égal de représentants des salariés et d’employeurs. Les règles de composition du CPH ne sont néanmoins pas tout à fait les mêmes en Alsace-Moselle. Cette particularité ainsi que le fonctionnement du CPH peuvent parfois surprendre les entreprises allemandes qui doivent gérer un procès en France. Nous vous proposons de faire un petit tour d’horizon sur les conseils de prud’hommes français.

Rôle du conseil de prud’hommes : dans quels cas est-il compétent ?

Le CPH est compétent pour tous les conflits qui peuvent surgir en lien avec un contrat de travail entre les employeurs et les salariés qu’ils emploient (articles L 1411-1 à L 4111-6 du Code du travail).

Plus particulièrement, le Code du travail français prévoit que les CPH connaissent des litiges nés :

  • au cours de l’exécution du contrat de travail (paiement de salaires et primes, durée du travail, situation de harcèlement, etc.) ;
  • après la cessation du contrat s’ils se rattachent à celui-ci ;
  • à l’occasion de l’application d’une convention accessoire au contrat.

En revanche, et contrairement au tribunal allemand du travail (Arbeitsgericht), ils sont incompétents en matière :

  • de conflits collectifs, notamment en cas de grève (réservée au tribunal de grande instance) ;
  • de contrôle du plan de sauvegarde de l’emploi lors d’un licenciement économique collectif, qui est effectué par le tribunal administratif ;
  • de toute décision administrative de l’Inspection du Travail liée aux salariés protégés. Il a été par exemple jugé par la cour de cassation le 9 mai 2018 qu’une salariée protégée reste soumise au juge administratif, même si elle tente de contourner l’autorisation de la licencier à l’issue de plusieurs CDD qu’elle voulait faire requalifier en CDI.

S’agissant de la compétence territoriale, le CPH qui aura à résoudre le litige est :

  • soit celui dans le ressort duquel est situé l’établissement où est accompli le travail ;
  • soit celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement.

Le salarié peut également saisir le CPH du lieu où l’engagement a été contracté ou celui du lieu où l’employeur est établi.

Les travailleurs détachés temporairement sur le territoire national par une entreprise établie dans un autre État membre de l’Union européenne font quant à eux l’objet d’un régime spécifique prévu par la législation européenne, reprise par les droits nationaux. Le code du travail français prévoit que les contestations relatives aux droits reconnus dans ce domaine peuvent être portées devant le CPH dans le ressort duquel la prestation est ou a été exécutée.

Qui sont les juges prud’hommaux ?

Les CPH sont des juridictions paritaires comprenant un nombre égal de salariés et d’employeurs. Ce paritarisme est cependant tout autre qu’en Allemagne, puisqu’il est « total » en première instance, et absent en appel. En effet, les CPH n’accueillent en principe aucun juge professionnel, comme en Allemagne où le tribunal du travail de premier degré comporte toujours un magistrat de métier.

Le nombre de représentants salariés ou employeurs varie selon :

  • la « formation » du CPH sur l’affaire donnée, qui peut être selon les cas :
    • une formation de droit commun ;
    • une formation restreinte : avec l’accord des parties et si le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ;
    • ou une formation de départage : présidée par un juge professionnel, mais intervenant qu’à titre exceptionnel si les parties le demandent ou si la nature du litige le justifie.
  • Ou la « section » du CPH compétente sur l’affaire donnée et qui dépend du secteur d’activité de l’entreprise, de la convention collective dont relève l’employeur, ou encore des fonctions particulières du salarié présent au litige.
    A ce titre, il existe cinq sections autonomes : encadrement (réservée aux cadres et aux salariés assimilés), industrie, commerce et services commerciaux, agriculture, activités diverses (concernant tous les autres secteurs, comme ceux artistiques, de l’enseignement ou encore le secteur libéral…). En principe, chaque section comprend au moins trois conseillers prud’hommes employeurs et trois conseillers prud’hommes salariés.

Les conseillers prud’hommaux, que ce soit du côté employeur ou du côté salarié, sont depuis une récente réforme désignés sur la base de la représentativité  des syndicats, c’est-à-dire de l’audience des organisations syndicales et patronales représentatives. Ils ne font donc plus l’objet d’une élection comme il était le cas auparavant. Ils sont titulaires d’un mandat de cinq ans.

Les activités prud’homales ouvrent droit à une indemnisation qui se fait : soit sous la forme de vacations, soit d’un maintien de la rémunération lorsque l’activité prud’homale est exercée pendant les heures de travail.

Le conseiller prud’hommal salarié est un salarié « protégé ». À ce titre, la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur est soumise à la procédure d’autorisation de l’inspecteur du travail. Toutefois, le salarié ne peut se prévaloir de cette protection que s’il a informé l’employeur de son mandat. L’employeur qui sanctionne ou licencie un salarié en raison de l’exercice de son mandat de conseiller prud’hommal se rendra coupable de discrimination syndicale.

Comment se déroule la procédure devant le conseil de prud’hommes ?

La procédure devant le conseil de prud’hommes a été profondément remaniée par diverses réformes législatives et réglementaires, pour tenter de réduire l’engorgement de ces juridictions. Rappelons brièvement, et par ordre chronologique, les étapes importantes d’une procédure « type » devant le conseil de prud’hommes :

Saisine du conseil de prud’hommes

Pour savoir comment contacter les prud’hommes, on peut se renseigner auprès du plus proche et demander s’il est bien compétent territorialement. Ensuite, la requête est rédigée, remise ou adressée au greffe du conseil de prud’hommes. À peine de nullité, elle doit comporter certaines mentions prescrites par le code de procédure civile. En outre, elle doit contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionner chacun des chefs de celle-ci. Si les motifs sont rédigés à la hâte sans stratégie claire, cela peut ensuite se retourner contre le demandeur.

Délais pour saisir le conseil de prud’hommes

Tout dépend de ce que veut le demandeur. S’il s’agit d’une obligation issue du contrat de travail comme le paiement de salaire, le délai est de deux ans. Pour contester un licenciement, il faut agir dans un délai d’un an à compter de la notification du salarié.

La phase de conciliation

Comme en Allemagne, une phase de conciliation est obligatoire devant le conseil de prud’hommes. La séance de conciliation n’est pas publique (article R. 1454-8 du code du travail) et les parties sont entendues en général ensemble, mais peuvent l’être séparément. L’absence de tentative de conciliation entraîne une nullité d’ordre public de la procédure. Seules certaines matières prévues par la loi permettent aux parties d’être dispensées de la phase de conciliation en raison de l’urgence (requalification d’un CDD, prise d’acte par un salarié de la rupture de son contrat…).

Les parties sont soit seules devant le juge, soit représentées par certaines personnes, dont les avocats ou pour les salariés les représentants syndicaux.

Cette étape est réalisée devant le bureau de conciliation, devenu « bureau de conciliation et d’orientation » en 2015 par intervention du législateur. Ce dernier doit, après avoir entendu les parties et en cas d’échec de la conciliation, renvoyer l’affaire devant le « bureau de jugement » (phase de jugement) réuni soit en formation restreinte, soit en formation classique, soit en formation de départage. Statistiquement, une grande partie des audiences débouche sur le constat de l’absence de conciliation.

Le bureau de conciliation et d’orientation assure l’instruction de l’affaire présentée devant lui. Lorsque le dossier n’est pas en état d’être jugée devant le bureau de jugement, celui-ci peut effectivement assurer sa « mise en état », tel que le fait d’inviter les parties à fournir les explications nécessaires à la solution du litige et les mettre en demeure de produire dans le délai qu’il détermine tous documents ou justifications propres à éclairer le conseil de prud’hommes. Le plus souvent, le bureau de conciliation et d’orientation fixe un calendrier des étapes suivantes de la procédure, qui est remis aux parties à la fin de l’audience.

La phase de jugement

Les parties sont ensuite convoquées devant le bureau de jugement par le greffe par lettre recommandée avec avis de réception. C’est lors de cette audience que les parties (ou leurs avocats) exposent leurs arguments à l’oral. La durée des plaidoiries varie fortement selon les CPH, qui accordent un temps plus ou moins restreint aux justiciables. Les décisions du bureau de jugement sont prises à la majorité absolue des voix.

De plus, chaque conseil de prud’hommes comprend une formation dite « de référé », commune à l’ensemble des sections de ce conseil. La formation de référé peut, dans tous les cas d’urgence et dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui « ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ». Typiquement, les salariés demandent devant cette juridiction l’établissement de documents importants comme les attestations Pole Emploi ou le versement de salaires. Les décisions de référé sont immédiatement exécutoires à titre provisoire et susceptibles d’appel.

Les voies de recours

L’appel est possible à l’encontre des jugements rendus en premier ressort par le conseil de prud’hommes. L’appel sera alors porté devant la chambre sociale de la cour d’appel dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement ou dans le délai de 15 jours si la décision a été rendue en référé.

Si le jugement d’appel ne satisfait toujours pas l’une des parties au litige sur un point de droit pur, l’étape ultime de la procédure en matière de droit du travail est le pourvoi en cassation. Les parties disposent d’un délai de deux mois à compter de la signification du jugement ou de l’arrêt à personne ou à domicile. La Cour de cassation statuera uniquement sur les questions de droit, et non plus sur le fond de l’affaire.

Durée de la procédure devant le conseil des prud’hommes

La durée de la procédure dépend bien évidemment du nombre de dossiers traités par le tribunal et peut donc varier considérablement d’un CPH à un autre. Elle varie également en fonction de l’attitude des parties au procès : si l’une des deux parties ou les deux parties répondent systématiquement aux écrits de l’autre partie, cela dure un certain temps. En moyenne, une procédure dure entre un an et un an et demi.

Existe-il des alternatives à la justice prud’homale classique ?

Voici les options légales existantes :

  • Avant tout conflit judiciaire et même pendant la procédure judiciaire, les parties peuvent se rapprocher pour signer une transaction. Elles peuvent aussi transiger en cours de procédure et se désister de la procédure en cours. Cette voie alternative est la plus courante en France.
  • Le recours à la médiation conventionnelle, c’est-à-dire l’appel à un tiers afin de parvenir à une résolution amiable du litige, est possible mais atteint rapidement ses limites dans un conflit qui va au-delà de problèmes simples, comme la remise de documents ou un paiement retardé de salaire. Si la médiation aboutit devant les conseillers du bureau de conciliation et d’orientation ou du bureau de jugement, le CPH homologue l’accord. Cette procédure est également applicable aux transactions homologuées devant le juge.
  • La loi permet enfin la conclusion d’une convention de procédure participative, dont l’usage était jusqu’à récemment exclu en matière prud’homale. Par cette convention, les parties s’engagent pour une durée déterminée à chercher une solution amiable à leur différend et à ne pas saisir le juge pendant la durée de la convention. La phase de conciliation reste toutefois obligatoire même dans le cadre de cette procédure alternative.

Est-ce que les conseils de prud’hommes sont payants ?

La saisine du conseil de prud’hommes est gratuite. Cependant, en cas d’intervention d’un avocat, des honoraires sont à régler sauf en cas d’aide juridictionnelle ou de protection juridique.
Les conseillers prud’hommaux sont rémunérés normalement par leur employeur s’ils interviennent pendant leurs horaires de travail. S’ils interviennent en dehors de leurs horaires de travail, ils reçoivent une allocation prise en charge par l’Etat.

Comment solliciter les prud’hommes ?

Le conseil de prud’hommes est saisi par requête, adressée par courrier au greffe du conseil de prud’hommes compétent. Il s’agit d’une réclamation formulée auprès du juge qui comporte les coordonnées du demandeur, du défendeur, l’objet de la demande et l’exposé sommaire des motifs ayant conduit à la saisine du conseil de prud’hommes ainsi que les prétentions financières.
Un formulaire est accessible en ligne. Autrement, la requête peut être rédigée librement par le demandeur ou via son avocat.

Quel délai pour saisir les prud’hommes ?

Le délai pour saisir le conseil de prud’hommes dépend du sujet du litige :
– 1 an pour contester un licenciement ou une rupture conventionnelle ;
– 2 ans pour toute action portant sur l’exécution du contrat de travail ;
– 3 ans pour réclamer une créance salariale (par exemple paiement d’heures supplémentaires, primes ou salaires) ;
– 5 ans en cas de harcèlement moral, sexuel ou en cas de discrimination ;
– 10 ans en cas de dommage corporel.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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Photo: Lozz

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