Covid19 : le droit de retrait du salarié

20.04.20  
Droit de retrait pendant le coronavirus
Covid19 : le droit de retrait du salarié
Droit de retrait pendant le coronavirus

Depuis le début de la crise sanitaire qui secoue la planète, la plupart des salariés français et leurs employeurs ont été confrontés à la question suivante : jusqu’où va l’obligation de protéger les salariés dans ces circonstances particulières ? Avec quels moyens concrets ? A quel moment le salarié peut-il légitimement refuser de travailler parce que sa santé n’est pas protégée ?

Les juges seront surement bientôt confrontés à un afflux massif de contentieux sur le sujet. Alors, autant être bien informé. Voici les réponses juridiques à ce jour.

Jusqu’où va l’obligation de protection et de santé et sécurité de l’employeur envers ses salariés ?

Il résulte des articles L. 4121-1 et 4121-2 du Code du travail que l’employeur doit prendre de manière générale les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures peuvent être des actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation, ou la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés pour lutter contre les risques pour les salariés.

L’obligation de santé et sécurité de l’employeur a longtemps été une obligation de résultat, c’est à dire que l’employeur voyait sa responsabilité engagée dès qu’un incident arrivait, sans que le salarié n’ait à prouver une faute de l’employeur (voir les arrêts « Amiante » de de la Cour de Cassation).

Cependant, la portée de l’obligation de l’employeur s’est assouplie depuis 2015. L’obligation de santé et sécurité de l’employeur est aujourd’hui une obligation de moyen « renforcée ». Pour éviter de voir sa responsabilité engagée, l’employeur doit prouver qu’il a mis en œuvre toutes les mesures de sécurité nécessaires (décision de la Cour de cassation du 25 novembre 2015).

Ceci est donc le cadre légal préexistant à la crise du coronavirus dans lequel l’employeur doit se poser la question de ses obligations envers ses salariés.

La crise actuelle du coronavirus étant inédite et les employeurs n’ayant pas toujours la capacité de déterminer eux-mêmes les moyens les plus adaptés pour faire face, le Gouvernement a mis à disposition des employeurs des recommandations générales pour assurer la santé et la sécurité des salariés au travail face au coronavirus. Des recommandations secteurs par secteurs sont également à disposition.

En principe, l’employeur qui a mis en place les recommandations du Gouvernement a rempli son obligation de santé et sécurité. Mais ceci n’est qu’une sorte de présomption simple. L’employeur doit réévaluer les risques face au virus dans son entreprise, et mettre en œuvre les mesures nécessaires plus spécifiques, si nécessaire, pour éviter ou limiter le risque de contagion.

L’employeur doit tout d’abord passer en télétravail tous les emplois qui peuvent l’être. Si ce n’est pas possible, l’employeur doit faire respecter les distances minimales de sécurité entre les salariés (1 mètre minimum) ainsi que les gestes barrières. Il doit mettre à disposition des salariés du savon, des gels et des mouchoirs. Les réunions doivent être limitées au strict nécessaire, les regroupements de salariés dans des espaces réduits doivent être limités et tous les déplacements non indispensables doivent être annulés ou reportés.
Si un salarié présente des symptômes (fièvre, toux), l’employeur doit le renvoyer chez lui, informer ses collègues et nettoyer immédiatement les espaces de travail du salarié.

A noter qu’il ne suffit pas de coller un affichage dans le couloir avec ces recommandations : l’employeur doit s’assurer en permanence de leur en œuvre effective et permanente.

Concernant les emplois où le salarié est en contact avec le public, des mesures de sécurité supplémentaires doivent être mises en place. Ainsi à titre d’exemple :

  • dans le secteur de la livraison de colis, l’employeur doit approvisionner les livreurs en gel hydroalcoolique, afin qu’ils puissent se nettoyer les mains entre chaque livraison. La livraison doit être déposée au sol en présence du client, sans remise en main propre. Enfin, la signature du client doit être remplacée ; par une photo du client avec son colis, par exemple.
    dans le secteur de la grande distribution, l’employeur doit mettre à disposition du savon et/ou du gel hydroalcoolique en quantité suffisante pour que les salariés puissent régulièrement se nettoyer les mains. Des parois de plexiglas au niveau des postes de caisse pour protéger les caissiers doivent être mises en place, dès lors que la mesure de distanciation ne peut être tenue avec le client.
  • concernant les salariés du secteur de la logistique, les postes de travail doivent être espacés pour éviter la promiscuité (éventuellement par des marquages au sol ou l’installation de barrières physiques). Il faut organiser la rotation des équipes après le nettoyage des lieux communs et réaliser les chargements et déchargements de camions par une seule personne en s’assurant de la mise à disposition d’aides mécaniques. Enfin, les pauses doivent être fractionnées afin de réduire les croisements et la promiscuité dans les salles de pause.

Si l’employeur suit ces recommandations, le salarié ne peut pas en principe valablement faire usage de son droit de retrait, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge des condition d’application de ce droit.

La question qui peut se poser à l’employeur à ce jour peut être néanmoins : que faire si les moyens de protection ne sont pas disponibles ? A notre avis, l’employeur doit au moins s’aménager la preuve de toutes ses tentatives de trouver les moyens de protection, comme les nombreuses demandes d’achat de gel hydroalcooliques dans de nombreux points de vente potentiels.

Quand le salarié peut-il exercer son droit de retrait à cause du coronavirus ?

Le droit de retrait n’est pas nouveau en droit du travail français. D’après l’article L. 4131-1 du Code du travail, le salarié peut se retirer de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

Le droit de retrait s’applique aussi bien dans les entreprises privées que publiques (article L. 4111-1 du Code du travail).

Le danger doit être grave et imminent, ce qui sous-entend plusieurs conditions :

  • Le danger est une menace pour la vie ou la santé du salarié, c’est-à-dire une situation de fait de nature à provoquer un dommage à l’intégrité physique du travailleur ;
  • Le danger doit être grave et non simplement léger, c’est à dire qu’il est susceptible de conséquences sérieuses, dangereuses ;
  • L’imminence évoque la survenance d’un événement, dans un avenir très proche.

De plus, le danger doit dépasser le seul risque inhérent au travail. Par exemple, l’admission dans un service hospitalier de malades porteurs du virus HIV ou de l’hépatite virale B ne constitue pas un danger grave et imminent. En raison de sa mission, un tel établissement hospitalier doit être apte à faire face aux risques de contagion pour ses agents ou les tiers (TA Versailles, 7e ch., 2 juin 1994, n° 872364), au titre de son obligation de santé et de sécurité. Le personnel des hôpitaux, exposé régulièrement dans leur métier à des risques d’infection, ne peuvent, en principe, pas faire usage de leur droit de retrait lorsque des mesures adaptées sont mises en place.

Dans le cas du droit de retrait exercé par un salarié en lien avec l’épidémie de coronavirus, il faut donc regarder au cas par cas, et vérifier si le salarié est exposé au virus, et si l’employeur a pris toutes les mesures indispensables pour protéger son personnel. Ainsi, des salariés travaillant avec du public, auxquels l’employeur n’aurait pas fourni d’accès à l’eau et du savon pour se laver les mains, de masques, de gants ou de gels hydroalcooliques, pourraient valablement faire usage de leur droit de retrait.

Toutefois, si l’employeur a respecté toutes les recommandations sanitaires du Gouvernement, le droit individuel de retrait ne peut pas trouver à s’exercer. Les recommandations du Gouvernement constituent donc un point de repère pour la question du droit de retrait.

Le danger a aussi un caractère subjectif. Il faut prendre en compte l’état de sensibilité particulière du salarié aux conditions de travail. Ainsi, une personne appartenant aux catégories à risque face au virus du Covid-19 (personne âgée, souffrant de maladie chronique comme le diabète par exemple, étant en surpoids, etc.) aura plus de chance de faire valablement valoir son droit de retrait.

Si le salarié peut prévenir par oral son employeur de l’exercice de son droit de retrait, la preuve écrite est toutefois privilégiée en cas de conflit.

Que faire en cas de droit de retrait abusif de la part du salarié ?

Le salarié qui exerce son droit de retrait, de façon justifiée, ne peut subir aucune sanction ni disciplinaire, ni pécuniaire (Article L.4131-3 du Code du travail.). Ainsi, le licenciement d’un salarié ayant exercé son droit de retrait de façon légitime est nul. En outre, l’exercice régulier du droit de retrait ne peut entraîner aucune retenue de salaire.

En conséquence, le salarié qui s’est retiré d’une situation dangereuse doit percevoir sa rémunération comme s’il avait poursuivi son travail, quelle que soit la durée du retrait. Le maintien de la rémunération se justifie par l’idée que le chef d’entreprise doit assurer la sécurité et la santé de son personnel.

En revanche, lorsque les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, le salarié s’expose à une retenue sur salaire et à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Le juge est seul compétent pour se prononcer sur l’existence d’un motif raisonnable.

Nous voyons que le Gouvernement fait le maximum pour à la fois donner une ligne de conduite aux employeurs, même si cela s’est fait tardivement, et à la fois aider les employeurs en droit du travail, notamment avec le chômage partiel, et aider les entreprises face à la crise du coronavirus.

Notons pour comparer avec notre voisin allemand que l’Allemagne connaît un droit similaire de retrait. Le droit du travail allemand prévoit à l’article 9 al. 3 phrase 1 de la loi relative à la protection au travail (Arbeitsschutzgesetz) le droit général de retrait dans une situation de danger (Entfernungsrecht) et il permet également au salarié , de ne pas exécuter sa prestation de travail (Zurückbehaltungsrecht/Arbeitsverweigerung bei drohender Gefahr) conformément à l’article 273 al. 1 du Code civil allemand(BGB) et l’article 618 al. 1 et 2 du Code civil allemand (BGB). L’employeur allemand qui ne respecte pas ses obligations pour la sécurité de ses employés s’expose en outre au paiement de dommages et intérêts (article 618 al. 3 BGB).

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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Photo : @alexander-shelegov

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