Le droit du travail allemand
08.02.24Le droit du travail allemand, pilier de l’une des plus grandes économies européennes, encadre les relations entre employeurs et salariés à travers un ensemble complexe de lois. Cet article met en lumière les spécificités du système allemand. Nous explorerons les fondements légaux, le contrat de travail, les droits et obligations. Il s’adresse aux professionnels des RH et entrepreneurs désireux de comprendre les nuances du droit du travail en Allemagne.
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Table des matières
Les sources légales du droit du travail allemand
Le droit du travail relève en Allemagne en principe de plusieurs législateurs : l’Etat fédéral (Bund) et les Etats fédérés (Länder). Les règles fondamentales, notamment relatives à la forme de la conclusion et la résiliation d’un contrat de travail, relèvent de l’État fédéral. Aussi, dans la hiérarchie des normes allemandes, en cas de contradiction entre les normes fédérales et fédérées, c’est la norme du Bund, donc fédérale, qui s’applique.
Voici un exemple de règle d’un État fédéré: le droit à un congé spécifique du salarié pour se former existe dans tous les États fédérés, sauf en Saxe et Bavière, où il ne s’applique pas.
Il n’existe pas en Allemagne comme en France un Code du travail contenant une grande partie des règles du droit du travail allemand. Il existe de nombreuses lois allemandes, prévoyant des règles de droit du travail éparses, comme par exemple sur la protection de la santé du salarié, le temps de travail, le contrat de travail à temps partiel et à durée déterminée, le congé, la protection des adolescents et des mères ou encore la protection contre le licenciement (Kündigungsschutzgesetz).
Une source législative essentielle du droit du travail allemand est le Code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch – en abrégé « BGB »). Au sein du BGB, le contrat de travail est en Allemagne est régi par des dispositions spécifiques distinctes de celles sur le contrat de prestations de service (Dienstvertrag). Au Code civil s’ajoute le Code de l’industrie et de l’artisanat (Gewerbeordnung), qui rappelle que l’employeur et le salarié bénéficient de la liberté contractuelle mais doivent respecter les restrictions posées par la loi et les accords collectifs.
Il existe des conventions et accords collectifs en fonction des branches mais aussi en fonction des secteurs géographiques. Ils sont conclus en toute autonomie entre les syndicats et représentants des employeurs, l’État n’ayant pas le droit d’influencer les négociations. Il convient de bien vérifier dans chaque cas si ces conventions et accords s’appliquent ou non dans le cas concret.
Forme du contrat de travail allemand
Le contrat de travail à durée indéterminée peut être conclu à l’oral ou à l’écrit, expressément ou tacitement. Cependant, la loi sur les preuves (Nachweisgesetz), conformément au droit européen, prévoit l’obligation pour l’employeur de remettre sur demande du salarié une attestation écrite sur leur relation de travail de droit allemand, qui peut être comparée à la lettre d’embauche de droit français. Si l’employeur n’exécute pas volontairement son obligation de contrat de travail écrit, il peut y être contraint par voie judiciaire. Il risque également de devoir payer des amendes administratives.
Par contre, une clause contractuelle prévoyant une durée déterminée du contrat de travail de droit allemand doit être écrite, sous peine de nullité. Rappelons au passage qu’en principe une durée déterminée nécessite une justification (Sachgrund) qui est moins restrictive qu’en droit français, mais pour un contrat ou plusieurs contrats consécutifs ne dépassant pas 2 ans, aucune justification n’est obligatoire. Nous renvoyons pour plus de détails à notre article de droit comparé sur le contrat de travail à durée déterminée de droit allemand et français.
Les éléments essentiels du contrat de travail allemand
Le contenu du contrat de travail de droit allemand dépend, le cas échéant, des dispositions de l’accord collectif applicable.
La période d’essai
Le contrat de travail peut comporter une stipulation expresse sur une période d’essai (Probezeit). La durée de la période d’essai n’est pas fixée par la loi en droit du travail allemand. Cependant, la jurisprudence fait référence à la loi sur la protection contre le licenciement (Kündigungsschutzgesetz), qui ne prévoit une protection qu’à partir du septième mois de la relation de travail. Il est donc en général possible de prévoir une durée de la période d’essai de six mois.
Toutefois, elle peut varier selon l’accord collectif applicable et être, le cas échéant, le plus souvent plus courte. Durant la période d’essai, le délai de préavis légal en cas de licenciement est raccourci à deux semaines, mais un accord collectif peut prévoir un délai plus long ou plus court.
Le temps de travail
En général, le contrat de travail de droit allemand fixe le temps de travail du salarié allemand.
Les règles sur le temps de travail en Allemagne encadrant les stipulations contractuelles sont d’ordre public. Ainsi, la loi sur le temps de travail (Arbeitszeitgesetz) dispose qu’en principe le temps quotidien de travail ne doit pas dépasser 8 heures. Le samedi étant aussi un jour de travail, le temps de travail hebdomadaire maximal est de 48 heures.
Toutefois, cette limitation peut faire l’objet d’un aménagement dans le contrat de travail sous certaines conditions et par ailleurs la limitation n’est pas applicable à certains types de salariés, comme par exemple les salariés cadres au sens du droit du travail allemand (c’est-à-dire ayant une autonomie dans la prise de décision voire un pouvoir de représentation de l’entreprise et dont la rémunération dépasse un certain niveau). Concernant les mineurs, le temps de travail est fixé par la loi de protection sur le temps de travail des jeunes (Jugendarbeitsschutzgesetz). Certaines conventions collectives sont plus généreuses avec les salariés sur la durée maximum du temps de travail.
Salaire minimum et contrats de travail précaires (« mini jobs »)
Pour la première fois en Allemagne, un un salaire minimum général (Mindestlohngesetz), a été instauré le 1er janvier 2015. Depuis le 1er janvier 2024, le salaire minimum est de 12,41 euros par heure.
L’objectif était d’arriver à un salaire minimum pour tous les secteurs et sur tout le territoire allemand. Auparavant, il n’y avait pas d’homogénéité, parce que les salaires variaient d’une branche à l’autre selon la convention collective applicable et en raison d’une différence générale de niveau de salaires entre l’Est et l’Ouest.
Une particularité célèbre du droit allemand est celle des «Mini jobs». Il s’agit d’emplois dont le revenu ne dépasse pas 538 euros par mois et dont l’avantage est une dispense partielle des cotisations sociales. Jusqu’à l’introduction du salaire minimum , il n’y avait pas de règles sur le nombre d’heures de travail d’un salarié employé sur la base d’un salaire de 450 euros. Souvent, les taux horaires étaient donc très bas. Actuellement, dans le respect du salaire minimum de 12,41 euros, le temps de travail d’un «Mini job» ne peut pas dépasser 42,5 heures par mois.
Contrat de travail à temps partiel
En application de la directive européenne sur le temps partiel 97/81/CE, la loi allemande sur le temps de travail partiel (Gesetz über Teilzeitarbeit und Befristung) a été adoptée. Selon cette loi, on est en présence d’un poste à temps partiel si le temps de travail hebdomadaire est plus court que celui d’un salarié occupant un poste et exerçant des activités comparables. Globalement, le recours au temps partiel est plus simple en Allemagne qu’en France.
La loi allemande dispose que tout salarié dont la relation de travail a duré au moins six mois peut faire une demande de réduction du temps de travail auprès de l’employeur. L’employeur ne peut s’y opposer qu’en cas de raison inhérente à l’organisation de l’entreprise. Une forme particulière du temps partiel est le job sharing (Arbeitsplatzteilung) qui signifie que plusieurs personnes, souvent deux, se partagent un même poste à temps complet. Les salariés embauchés à temps partiel ne doivent pas faire l’objet d’une discrimination par rapport aux salariés à temps plein. Ainsi, la proportionnalité de leurs droits à congés par exemple doit être respectée.
Depuis le 1er janvier 2019, il y a une nouveauté concernant le temps de travail partiel. Avec l’entrée en vigueur du temps partiel sur une période transitoire (Brückenteilzeit), on accorde au salarié un droit de retour à la durée de travail initiale après un temps travail à temps partiel durant une durée déterminée auparavant. Ces dispositions de la loi allemande sur le temps de travail partiel sont applicables dans les entreprises employant plus de 45 salariés.
La loi sur la transparence des rémunérations
Entrée en vigueur le 6 juillet 2017, la loi sur la transparence des rémunérations s’est donné pour objectif d’améliorer l’égalité des salaires entre hommes et femmes. Ainsi, l’objectif de la loi est de faire respecter l’égalité de rémunération entre hommes et femmes pour un travail égal ou à valeur égale. Le nouveau droit à l’information à l’encontre de l’employer constitue l’instrument central de ce dispositif. Celui-ci s’applique dans les entreprises de plus de 200 employés.
La fin du contrat de travail
Les motifs de rupture du contrat de travail allemand les plus courants sont
- la démission du salarié et le licenciement par l’employeur, qui sont soit avec préavis (ordentliche Kündigung), soit sans préavis (auẞerordentliche Kündigung),
- la rupture conventionnelle (Aufhebungsvertrag),
- l’expiration du délai en cas de limitation de durée (Ablauf einer Befristung).
La résiliation avec préavis d’un contrat de travail à durée indéterminé de droit allemand peut être prononcée sauf cas d’interdiction légale soit par l’employeur, soit par le salarié, en respectant les conditions de forme et de délai.
Le licenciement
Le licenciement prononcé par l’employeur est soumis à la condition d’une justification sociale (soziale Rechtfertigung), c’est-à-dire des motifs réels et sérieux liés à la personne ou au comportement du salarié ou à des exigences urgentes de l’entreprise sous certaines conditions, notamment d’effectifs des salariés dans l’entreprise. Cependant, si le salarié ne remet pas en cause l’absence de motifs réels et sérieux par une demande déposée au Conseil des Prud’hommes allemand (Arbeitsgericht) dans un délai de trois semaines, le licenciement ne peut plus être remis en cause.
La résiliation sans préavis du contrat de travail allemand peut également être décidée tant par l’employeur que par le salarié. Il s’agit d’une rupture du contrat de travail pour un motif grave (wichtiger Grund), permettant de se dispenser du préavis. Le droit du travail allemand ne distingue de ce point de vue pas comme le droit français entre motif grave et motif lourd de licenciement quand la résiliation du contrat de travail intervient à l’initiative de l’employeur.
Un motif grave est par exemple selon la jurisprudence (LAG Niedersachsen, décision du 31 mai 2010) l’usage excessif par le salarié d’internet à des fins privées au travail. En espèce, il s’agissait du directeur du service d’urbanisme embauché par une commune qui passait sur une période de sept semaines plusieurs heures par jour de travail à écrire et répondre à des emails privés.
Rupture conventionnelle « à l’allemande«
Enfin, les parties peuvent mettre fin au contrat de travail par un accord sur une rupture conventionnelle « à l’allemande« (Aufhebungsvertrag). Comme tout contrat, un tel accord est soumis aux conditions générales de validité. Ainsi sa validité peut être contestée en cas de vice de consentement. Il n’est pas non plus valable en cas de fraude (Umgehung des Kündigungsrechts). De plus, la loi prévoit pour la rupture conventionnelle l’obligation de la forme écrite.
Cet accord peut prévoir que le contrat de travail allemand cesse dès la signature de l’accord ou à une autre date fixée par les parties. L’accord de rupture conventionnelle reste beaucoup plus souple que la rupture conventionnelle de droit français qui est très encadrée tant sur la forme que sur le fond.
Le contrat de travail à durée déterminée prend fin avec l’expiration du délai prévu. Comme en droit du travail français, la rupture anticipée de ce contrat n’est normalement pas possible. A la différence, du CDD français, le droit allemand ne prévoit aucune indemnité en fin de contrat.
Le chômage partiel en Allemagne
En cas de baisse des affaires, selon les stipulations des conventions collectives, conventions d’entreprise ou du contrat de travail applicables, une entreprise peut réduire le temps de travail des salariés et la rémunération pro rata temporis pour éviter des licenciements. Dans le cas d’une réduction du temps de travail licite, le salarié peut bénéficier d’une indemnisation (Kurzarbeitergeld) versée par l’agence de travail (Arbeitsagentur) conformément aux articles 95 ss. du code social tome III.
Organe de représentation des salariés en Allemagne
Le comité d’entreprise allemand n’est pas réservé aux entreprises de plus de 50 salariés. Dans les entreprises allemandes d’au moins cinq salariés ayant le droit de vote, un comité d’entreprise (Betriebsrat) peut être élu à l’initiative des salariés. Il n’existe pas de délégués du personnel ou de délégués syndicaux dans l’entreprise comme en France.
Le comité d’entreprise est un organe consultatif et décisionnel. Ses droits dépendent de la matière et du nombre des salariés. Il exerce parmi d’autres la fonction générale de veiller sur le respect des dispositions législatives, règlementaires et conventionnelles. Pour remplir ses missions, il entend les salariés concernés par une violation de dispositions et intervient auprès de la direction de l’entreprise.
Par le biais du comité d’entreprise, les salariés peuvent participer à la prise des décisions au sein de l’entreprise en matière par exemple d’organisation du temps de travail et des pauses ou le comportement sur le lieu de travail, en absence de réglementation légale ou collective. Le comité d’entreprise allemand participe à la prise de décision sur les licenciements. Le comité doit être informé en ce qui concerne par exemple les changements de postes de travail et d’organisation et il peut sous certaines conditions exiger que soient prises des mesures compensatoires au profit des salariés. Les projets de modifications économiques ayant un impact négatif pour le personnel sont également soumis à une consultation du comité d’entreprise à partir d’un effectif de 20 salariés .
Corrélativement au nombre de salarié au sein de l’entreprise les droits et possibilités d’intervention du comité d’entreprise sont étendus. Ainsi en cas d’embauche, le consentement du comité d’entreprise est requis à partir de vingt salariés. Cela signifie donc que si le comité d’entreprise refuse une embauche, l’employeur ne peut pas signer le contrat de travail.
Les entreprises franco-allemandes d’une certaine taille exerçant leurs activités dans les deux pays instaurent un comité d’entreprise européen composé de membres ressortissants des deux pays.
Enfin, dans les entreprises de 2 000 salariés et plus ayant adopté certaines formes de société, les salariés ont le droit de participer aux organes de direction et surveillance (Vorstand, Aufsichtsrat). C’est la célèbre « cogestion à l’allemande ».
La protection des données des salariés
Le règlement général de l’Union européenne sur la protection des données (RGPD) du 24 mai 2016 ne contient pas de dispositions particulières concernant la protection des données des salariés. En revanche, elle rend possible des dispositions à ce sujet dans les Etats membres grâce à une clause de flexibilité. En Allemagne le législateur a fait usage de ce droit en introduisant des dispositions relatives à la protection des données des salariés dans la loi allemande sur la protection des données (Bundesdatenschutzgesetz).
En vertu de la législation actuelle, l’employeur a le droit de faire usage des données personnelles des salariés qui sont nécessaires à la formation du contrat de travail et à son exécution. Il lui est également permis de collecter des informations dans l’objectif de poursuivre des infractions pénales. Mais dans ce cas, il doit y avoir des indices concrets justifiant une telle mesure. En plus, le principe de la proportionnalité entre l’impact sur les droits du salarié et l’intérêt de l’employeur doit toujours être respecté.
La loi prévoit aussi la possibilité d’une autorisation exceptionnelle par le salarié pour l’usage de données personnelles par l’employeur. La validité de l’autorisation suppose un consentement libre. Ainsi, avec le § 26 alinéa 2 de la loi allemande sur la protection des données, le législateur allemand reprend la jurisprudence précédente du Tribunal fédéral allemand du travail qui admet le consentement par le salarié.
Ainsi, il est nécessaire de prendre en compte les conditions dans lesquelles le consentement a été donné. Il peut notamment s’agir d’un consentement libre lorsque l’employé obtient un avantage juridique ou économique du fait de donner l’autorisation pour l’usage de ses données personnelles ou lorsque l’employeur et l’employé poursuivent des intérêts similaires. La loi exige la forme écrite pour le consentement, à moins que les conditions particulières du cas ne nécessitent pas l’usage d’une autre forme.
Prescription et forclusion en droit du travail et de la Sécurité Sociale allemand
Le délai de prescription régulier des droits issus du contrat de travail de droit allemand est de 3 ans. Le délai applicable aux actions en matière de Sécurité Sociale est de 4 ans. Si un droit a déjà été reconnu par décision de justice, le délai de prescription est de 30 ans.
Les actions visant à remettre en cause la validité d’un licenciement sur le fondement de la loi sur la protection contre le licenciement sont forclos dans un délai de trois semaines. Cette règle ne s’applique pas au cas de défaut de forme écrite du licenciement.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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