Délai de licenciement après découverte d’une faute grave du salarié
23.06.22Principe du licenciement rapide après la commission d’une faute grave
La règle en droit du travail quand un salarié commet une faute grave est que l’employeur doit le licencier rapidement. Mais il existe des nuances en fonction des circonstances. En voici une illustration.
La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 9 mars 2022 (Cour de cassation, 9 mars 2022, n°20-20.872), a affirmé que le fait pour un employeur de laisser s’écouler un délai entre la révélation de faits commis par un salarié et l’engagement de la procédure de licenciement n’a pas pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité, dès lors que le salarié, dont le contrat est suspendu, est absent de l’entreprise.
Une procédure de licenciement pour faute grave engagée tardivement
Au cas d’espèce, une salariée a été engagée en 1982 par un cabinet d’assurance, en qualité d’employée commerciale puis a est promue cadre en 2008. La salariée est placée en arrêt de travail à compter du 31 mai 2013 jusqu’au 7 juin 2013. L’arrêt de travail est suivi de neuf avis de prolongation de travail, entrainant une absence continue jusqu’au 15 mars 2014.
L’employeur l’a convoque à un entretien préalable à licenciement par courrier en date du 14 novembre 2014, lui reprochant des fautes commises en 2011 et 2012. L’entretien préalable au licenciement a lieu le 26 novembre 2014.
La salariée est ensuite licenciée pour faute grave deux ans après les faits, par courrier en date du 12 décembre 2014. Son employeur lui reprochait notamment d’avoir usé de son influence auprès d’une personne âgée en situation de faiblesse cliente du cabinet d’assurance, Madame A, afin de s’attribuer à elle et à des membres de sa famille, l’ensemble de son patrimoine. Dans ce courrier du 12 décembre 2014, l’employeur explique avoir eu connaissance des faits fautifs seulement lors d’un entretien ayant eu lieu le 17 octobre 2014, au domicile de Madame A, cliente de l’agence, qui souhaitait modifier les clauses bénéficiaires de ses trois contrats d’assurance vie, qui étaient rédigées, nominativement aux profits de deux des fils de la salariée licenciée. Madame A a alors indiqué lors de cet entretien qu’elle avait été abusée par la salariée, au cours d’une période où elle était vulnérable, à savoir en juillet 2011.
La salariée décide de contester son licenciement devant le Conseil des prud’hommes de Mâcon en indiquant que l’employeur a tardé à engager la procédure disciplinaire, qui aurait dû être engagée dans un délai de deux mois à partir du moment où il avait eu connaissance des faits fautifs. La salariée considère donc que l’employeur ne pouvait plus invoquer la faute grave. Le Conseil de prud’hommes déboute la salariée de ses demandes d’indemnités de fin de contrat.
L’employeur n’avait en effet jamais été informé de ces faits avant l’entretien du 17 octobre 2014. Les éléments de preuve apportées par la salariée ne permettent pas de démontrer qu’il en a été informé auparavant. Elle fournit notamment un courrier du 25 mai 2012 adressé à la cliente Madame A, mais il n’est pas signé de Monsieur Z représentant de l’employeur directement, il est indiqué « pour ordre ». Cela ne prouve donc en aucun cas que c’est Monsieur Z qui avait signé le courrier.
Ainsi, en convoquant la salariée à un entretien préalable à licenciement le 14 novembre 2014, l’employeur a respecté les dispositions prévues à l’article L. 1332-4 du Code du travail, prévoyant le délai de deux mois pour engager les poursuites disciplinaires.
Procédure de licenciement tardive justifié par l’absence de la salariée
La Cour d’appel de Dijon confirme la validité du licenciement fondé sur la faute grave et déboute la salariée de toutes ses demandes. Cette dernière forme alors un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation suit le raisonnement de la Cour d’appel et rejette le pourvoi de la salariée.
La Cour de cassation retient que l’employeur avait eu une connaissance exacte des faits le 17 octobre 2014 et qu’il avait convoqué la salariée à un entretien préalable à licenciement le 14 novembre 2014.
Le contrat de travail de la salariée ayant été suspendu à partir du 31 mai 2013, elle était donc absente de l’entreprise. Ainsi, cette période d’absence de la salariée ne pouvait avoir pour conséquence de retirer à la faute son caractère de gravité.
Des exceptions à l’exigence du délai rapide pour licencier
Pour rappel, la faute grave est celle qui « rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise », même pendant la période de préavis. La faute grave prive donc le salarié de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis.
Lorsque l’employeur a connaissance d’un fait fautif, il dispose de deux mois pour engager des poursuites disciplinaires à compter du moment où il a eu connaissance des faits, conformément à l’article L. 1332-4 du Code du travail.
La jurisprudence est venue préciser que, lorsque l’employeur souhaite invoquer une faute grave, il doit engager la procédure de licenciement dans un délai « restreint », à partir du moment où il a eu connaissance des faits fautifs. La durée de ce délai « restreint » dépend des vérifications que l’employeur doit effectuer et relève du pouvoir souverain des juges du fonds.
Des exceptions à l’exigence d’un délai « restreint » ont été admises par la jurisprudence et la Cour de cassation est venue apporter une nouvelle exception en rendant son arrêt du 9 mars 2022. Elle précise donc à nouveau l’appréciation de ce délai « restreint » que doit respecter l’employeur. Désormais, lorsque le salarié est absent pendant une période de suspension de son contrat de travail, l’engagement tardif de la procédure de licenciement ne prive pas la faute de sa gravité, peu important que le délai « restreint » ait été respecté ou non, dans la mesure où l’employeur a connaissance des faits fautifs de manière tardive.
A retenir en pratique : si l’employeur découvre une faute grave de la salariée à son retour longtemps après la commission de la faute, il peut néanmoins licencier pour faute grave. Mais attention : en cas de litige, il revient à l’employeur d’expliquer pourquoi il a été contraint d’initier tardivement la procédure de licenciement pour faute grave. Au cas d’espèce, il suffisait d’avoir la preuve que la salariée était en arrêt maladie et donc absente et de démontrer qu’il n’avait eu connaissance des faits fautifs que lors de l’entretien du 17 octobre 2014 chez Madame A. L’appréciation de ce délai « restreint » se fait donc au cas par cas et l’employeur peut selon les circonstances bénéficier d’une certaine tolérance.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
Tous droits de propriété intellectuelle réservés
Photo: Satjawat