Mauvaise organisation des visites médicales par l’employeur: quelles conséquences?
20.03.17Prise d’acte et appréciation du manquement de l’employeur au cas par cas
Par un arrêt du 8 février 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation a illustré sa jurisprudence relative à la prise d’acte d’un contrat de travail dans le cas d’un manquement de l’employeur lié au suivi médical des salariés.
Pour rappel, la rupture du contrat de travail par la prise d’acte, exclusivement réservée au salarié, permet à ce dernier d’annoncer à son employeur qu’il quitte l’entreprise en « prenant acte de la rupture de son contrat ». Cette prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur dès lors que peut être constaté un manquement suffisamment grave de l’employeur (Cass. soc. 26 mars 2014, n° 12-23.634).Les juges du fond sont chargés d’apprécier au cas par cas le niveau de gravité de ce manquement par l’employeur.
Dans cet arrêt il était question d’une salariée qui était également déléguée du personnel. Elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 1er mars 2012, suite à un arrêt maladie.
L’absence de suivi médical justifie la prise d’acte
La salariée a fondé sa prise d’acte sur les manquements graves de son employeur en matière de médecine du travail.
La Cour d’appel a estimé que la prise d’acte était justifiée. Les juges d’appel ont ainsi relevé que l’employeur avait manqué gravement à ses obligations contractuelles liées aux visites de la salariée chez le médecin du travail de manière répétée, et notamment sur :
- l’absence d’organisation par l’employeur de la visite médicale d’embauche,
- l’absence d’organisation de visites médicales périodiques pendant les dix-huit premiers mois de l’emploi de la salariée ainsi que
- l’absence d’organisation des visites de reprise après l’arrêt de travail pour accident du travail du 1er au 9 mars 2010 et après la suspension du contrat de travail du 4 juin au 6 décembre 2010.
Conséquences de la prise d’acte pour l’employeur
Les juges d’appel ont ainsi décidé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d’un licenciement nul, car la salariée était une salariée protégée. Ils ont donc condamné l’employeur à payer à cette dernière des sommes à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, violation du statut protecteur et licenciement illicite.
La Cour de cassation confirme par sa décision du 8 février 2017 le raisonnement de la cour d’appel et estime ainsi que la prise d’acte de la salariée est justifiée.
Par ailleurs, l’employeur a dû subir les conséquences de la prise d’acte liées au statut protecteur dont bénéficiait sa salariée en sa qualité de déléguée du personnel.
L’employeur a été condamné à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur. Cette somme est égale au montant des rémunérations qu’elle aurait dû percevoir entre sa prise d’acte et la fin de son mandat au titre de la violation de son statut protecteur, en l’occurrence ses rémunérations entre le 1er mars 2012 et le 30 avril 2015. L’impact financier de la prise d’acte a donc été particulièrement lourd pour l’employeur.
Modification des obligations de l’employeur en matière de visites médicales depuis 2017
Pour rendre sa décision, la Cour de cassation s’est fondée sur des textes du code du travail qui ont été abrogés depuis. En effet, la prise d’acte en question remonte à 2012.
La loi « El Khomri » (aussi appelée la loi « Travail ») du 8 août 2016 a modifié le suivi médical des salariés à compter du 1er janvier 2017. En particulier cette loi a:
- remplacé la visite médicale d’embauche par une simple visite d’information et de prévention. Cette visite d’information pourra être effectuée par le médecin du travail ou par l’un des membres de l’équipe pluridisciplinaire (collaborateur, infirmier…);
- assoupli les obligations de l’employeur quant aux visites médicales périodiques. Le salarié doit au minimum effectuer une visite médicale tous les 5 ans, sauf postes à risques.
Compte tenu de ces assouplissements du suivi médical dans l’entreprise, les salariés ne peuvent plus se fonder sur les manquements de l’employeur en la matière comme a pu le faire la salariée dans la décision commentée du 8 février 2017. Justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail sur ce fondement est à présent plus compliqué au regard des assouplissements introduits au bénéfice de l’employeur. Il n’en reste pas moins que le spectre de la prise d’acte est par principe toujours inquiétant pour l’employeur, sur la base de manquements à la réglementation en droit du travail, toujours plus complexe. Et que ces manquements coûtent encore plus cher lorsque le salarié concerné est un salarié protégé.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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