La notion d’ « établissement » en cas de licenciements collectifs
22.06.15Dans un arrêt du 30 avril 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne a précisé dans un arrêt important pour les praticiens la notion « d’établissement » en matière de licenciements collectifs.
Consultation préalable des représentants du personnel et notion d’établissement
La société Woolworths et la société Ethel Austin étaient deux grandes chaînes de distribution britanniques. Insolvables toutes deux, elles ont dû procéder à la fermeture de leurs établissements, ce qui a affecté de nombreux emplois au Royaume-Uni. Dans le premier cas, l’administrateur judiciaire consulte les syndicats quelques jours seulement avant le prononcé du licenciement. Dans le second cas, l’administrateur judiciaire annonce aux salariés la fermeture de l’ensemble des magasins sans consultation préalable des représentants du personnel.
Des recours contre ces deux sociétés ont été introduits pour obtenir la condamnation des employeurs à verser des indemnités aux salariés licenciés pour non-respect de la procédure de consultation préalable à l’adoption des plans sociaux. La loi anglaise prévoyait, en effet, à l’époque l’obligation pour l’employeur de procéder à une consultation préalable des représentants du personnel pendant une durée minimale de 90 jours avant la mise en œuvre de licenciements collectifs portant sur 100 salariés ou plus.
L’octroi de dommages et intérêts pour absence de consultation préalable limité à certains salariés licenciés
Le 18 janvier 2012, l’Employment Tribunal (l’équivalent anglais du Conseil des prud’hommes) a rendu sa décision concernant le recours formé contre la société Woolworth. Il a reconnu l’irrégularité du licenciement d’environ 25 000 salariés sur plus de 28 000 salariés du fait de la consultation trop brève des syndicats. Toutefois, il n’a pas reconnu l’octroi de dommages et intérêts aux salariés travaillant dans les établissements comprenant moins de 20 salariés et donc concernés par moins de 20 licenciements.
Dans une décision du 20 novembre 2001 concernant la société Ethel Austin, l’Employment Tribunal est parvenu aux mêmes conclusions, n’attribuant des dommages et intérêts qu’aux salariés des établissements de plus de 20 salariés. Ces décisions sont fondées sur l’interprétation qu’ont donnés les juges anglais de la directive du 20 juillet 1998 de l’Union européenne sur le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs. Dans l’article 1) a) ii de cette directive, il est prévu que les licenciements collectifs sont les « licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, lorsque le nombre de licenciements intervenus est pour une période de 90 jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre de travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés. »
Les juridictions prud’homales britanniques, à la lecture de cet article, ont toutes deux admis que chacun de ces établissements devant être considéré comme distinct, les établissements employant moins de 20 salariés n’atteignaient pas les seuils prévus pour la procédure de consultation. De ce fait, ces établissements échappaient à la sanction pour non consultation.
Le 22 janvier 2014, la Cour d’appel britannique saisie de ces affaires a alors adressé à la Cour de Justice de l’Union européenne une question préjudicielle concernant la directive européenne du 20 juillet 1998 et la notion d’ «établissement». Elle a posé la question de savoir si la notion d’«établissement» couvrait plutôt l’ensemble de l’activité de commerce concernée, c’est à dire une seule unité économique et sociale, ou bien, à l’instar de l’interprétation des juridictions de première instance, l’unité à laquelle les travailleurs sont affectés pour exercer leur tâche.
La décision de la Cour de Justice de l’Union européenne : la notion d’ « établissement » précisée
Dans la décision du 30 avril 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne a répondu que lorsqu’une entreprise comprend plusieurs entités, c’est l’entité à laquelle les travailleurs concernés par le licenciement sont affectés pour exercer leur tâche qui constitue l’« établissement ». Ainsi, elle a donné raison aux juridictions anglaises de première instance, en considérant que l’effectif de 20 salariés doit être regardé au niveau de chaque entité, c’est-à-dire de chaque magasin.
Elle a justifié sa décision en rappelant les objectifs de la directive du 20 juillet 1998, qui sont d’assurer une protection comparable des droits des travailleurs dans les différents Etats membres et de rapprocher les charges qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises de l’Union. Or, selon elle, le cumul des licenciements de chaque établissement d’une entreprise aurait permis par exemple à un seul travailleur d’un établissement d’entrer dans le champ d’application de la directive, ce qui serait contraire à la notion même de « licenciement collectif ». Cela aurait aussi engendré des charges trop différentes et importantes pour chaque Etat membre.
Ces risques ont semblé pour la Cour plus déterminant que l’objectif d’une plus grande protection du salarié. La pratique chez certains employeurs de diviser une même activité dans plusieurs unités pourrait être confortée par cette décision récente de la Cour Européenne, mais cela reste risqué selon les cas. Cette pratique a été plusieurs fois condamnée par les juges français.
Bien que cette directive instaure une protection minimale et permet aux États membres d’adopter des règles plus favorables aux travailleurs, la Cour rappelle que la notion d’ « établissement » est une notion autonome et que les Etats membres seront donc tenus par l’interprétation de la Cour.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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Photo: Zhu Difeng