Point de départ du délai pour annuler une convention collective

27.12.22  
Calcul du point de départ du délai d'annulation d'une convention collective
Point de départ du délai pour annuler une convention collective
Calcul du point de départ du délai d'annulation d'une convention collective

Délai légal très court pour annuler une convention ou un accord collectif fraichement signé

En droit du travail, la négociation entre les partenaires sociaux des conventions et accords collectifs et leur modification au fil des années peut être compliquée voire houleuse.  Et dans ce contexte, les organisations syndicales ou patronales, qu’elles aient participé ou non à la négociation, qui estiment que leurs intérêts n’ont pas été pris en compte ou même heurtés disposent d’une voie pour remettre en cause l’accord. Cette action est une action en annulation. Les organisations syndicales ou patronales, qu’elles aient participé ou non à la négociation, peuvent demander l’annulation d’un accord. En revanche, un salarié ne peut pas. Dans la mesure où l’action en annulation peut potentiellement remettre totalement en cause le compromis trouvé entre les signataires, elle est encadrée dans un délai très strict et très court, à savoir deux mois, à peine d’irrecevabilité de la demande. Ce délai était auparavant fixé à 5 ans, comme en droit commun, mais a été drastiquement réduit car le Conseil constitutionnel a considéré que ce nouveau délai raccourci permet d’éviter que les accords puissent être contestés trop longtemps après leur conclusion.

La Cour de cassation a récemment précisé quel était le point de départ de ce délai de forclusion de deux mois pour agir en annulation d’une convention collective ou d’un accord collectif, en l’occurrence d’un accord collectif de branche (Soc. 21 sept. 2022, FS-B, n° 20-23.500).

Manque de clarté des règles d’annulation prévues au Code du travail

Cette question semble simple lorsque l’on lit l’article L. 2262-14 du Code du travail, qui dispose que :

« Toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter :

1° De la notification de l’accord d’entreprise […], pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;

2° De la publication de l’accord prévue à l’article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas ».

En l’absence d’organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise, c’est donc la date de publication qui fait courir le délai.

Cependant, l’article L. 2231-5-1 du Code du travail prévoit des conditions de publication des accords assez spécifiques. En effet, « les conventions et accords de branche […] sont rendus publics et versés dans une base de données nationale, dont le contenu est publié en ligne dans un standard ouvert aisément réutilisable ». Cela renvoie au site Légifrance.

Cela signifie-t-il que c’est la mise en ligne de la publication de l’accord sur Légifrance qui fait courir ce délai ou la date de publication au bulletin officiel des conventions collectives ? L’obligation de publication sur la base de données Légifrance est issue d’une loi postérieure à l’entrée en vigueur de l’article L. 2262-14 du Code du travail prévoyant le délai de deux mois. Cela explique donc sans doute pourquoi le Code du travail n’a pas précisé le point de départ du délai. La loi n’ayant pas précisé ce point pourtant important, la Cour de cassation a donc répondu à cette question.

Tentative d’annulation d’un accord de branche par des syndicats plus de deux mois après la publication au bulletin officiel

Au cas d’espèce, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (l’UIMM), la fédération des Cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie CFE-CGC, la Fédération confédérée FO de la métallurgie, la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT, qui renégocient assez fréquemment les conditions de travail dans la branche, avaient signé, le 29 juin 2018, un accord de branche national dans la métallurgie « relatif au contrat de travail à durée déterminée et au contrat de travail temporaire dans la métallurgie ».

Le 15 septembre 2018, l’accord avait été publié par le Ministère du travail au bulletin officiel des conventions collectives.

Le 29 novembre 2018, la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et le syndicat CGT Intérim ont assigné l’UIMM, la fédération des Cadres, de la maîtrise et des techniciens de la métallurgie CFE-CGC, la Fédération confédérée FO de la métallurgie et la Fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT afin de faire annuler par le Tribunal Judiciaire de Paris cet accord national du 29 juin 2018. Ils considéraient que le délai de deux mois courait à compter de la publication sur Légifrance et non sur le bulletin officiel des conventions collectives. Au 29 novembre 2018, la mise en ligne de l’accord de branche sur le site de Légifrance n’avait pas encore été réalisée.

Le délai de deux mois pour faire annuler court à compter de la publication au bulletin officiel des conventions collectives

L’action de la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et du syndicat CGT Intérim tendant à annuler l’accord a cependant été déclarée irrecevable pour prescription par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt de 2020, puis par la Cour de cassation.

L’article L. 2231-5-1 du Code du travail précité utilise le mot « et » pour indiquer que les accords doivent être rendus publics et être versés dans une base de données nationale. La Cour de cassation devait donc préciser si le point de départ du délai commençait après la seule publication de l’accord ou après la réalisation des deux démarches (publication sur le bulletin officiel et intégration dans la base de données nationale).

Le régime de publication des accords de branche est spécifique à l’article D. 2231-2 du Code du travail qui précise qu’ils doivent être déposés auprès des services du Ministre chargé du travail. C’est ensuite le Ministère du travail qui publie ces accords au bulletin officiel des conventions collectives et transmet un fascicule à la Direction de l’information légale et administrative qui diffuse à son tour ces accords sur le site Légifrance afin de favoriser l’accès à l’information pour les salariés et employeurs.

La Cour de cassation considère donc que la publication d’un accord est assurée par la publication au bulletin officiel uniquement, qui répond à l’exigence légale d’une publication « en ligne dans un standard ouvert aisément réutilisable ».

La Cour de cassation a en effet considéré que l’accord de branche national conclu le 29 juin 2018 etpublié le 15 septembre 2018 au bulletin officiel des conventions collectives pouvait être contesté dans un délai de deux mois à compter du 15 septembre 2018, jour de la publication au bulletin officiel des conventions collectives, soit jusqu’au 15 novembre 2018. Ainsi, l’action du 29 novembre 2018 était irrecevable.

La Cour de cassation précise donc que le délai de deux mois pour agir en nullité d’un accord de branche court à compter de la date à laquelle l‘accord a été rendu public par sa publication au bulletin officiel des conventions collectives qui confère une date certaine et répond à l’objectif de sécurité juridique.

La publication sur Légifrance ne constitue, aux yeux des juges d’appel et de Cassation, qu’une mesure de publication complémentaire qui répond à l’objectif d’accessibilité du droit. La décision des juges est donc une décision de bon sens puisqu’elle a repris les termes de la loi qui indique que le délai court à compter de la « publication », publication assurée par le bulletin officiel et non le site Légifrance. Cela contraint les organisations qui peuvent demander l’annulation d’une convention ou d’accord collectif à surveiller les publications sur le bulletin officiel…

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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Photo: Andrey Popov

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