Remise de pièce au Conseil de Prud’hommes

05.10.23  
Remise forcé de pièce au BCO du conseil de prudhommes
Remise de pièce au Conseil de Prud’hommes
Remise forcé de pièce au BCO du conseil de prudhommes

Une partie à une procédure devant le Conseil de Prud’Hommes, notamment le Bureau de Conciliation et d’Orientation (« BCO »), peut se voir demander la remise d’une pièce pour éclairer le litige. La question s’est posée de savoir si les juges peuvent imposer par injonction cette remise, notamment de documents financiers, suite à la protestation d’un employeur. Nous vous apportons ici une réponse sur l’attitude à suivre dans cette situation.

Injonction du CPH à l’employeur de fournir des pièces

Cette question importante dans la pratique a été tranchée par la chambre sociale de la Cour de cassation le 14 décembre 2022. Les faits étaient les suivants : une salariée engagée en 2014 par la société Praeconis et exerçant les fonctions d’animatrice du réseau mandataire a démissionné en janvier 2018 et a saisi le Conseil de prud’hommes concernant sa rémunération variable. Durant l’audience dite de conciliation devant le BCO, il est ordonné à l’employeur de délivrer les documents comportant les chiffres d’affaires réalisés par tous les mandataires placés sous son autorité ainsi que son chiffre d’affaires détaillé par affaire nouvelle pour le calcul de la rémunération variable, et ce pour les 3 dernières années. Le BCO avait également ordonné, sous astreinte, à l’employeur de remettre à la salariée un décompte du chiffre d’affaires réalisés par un tiers.

L’employeur a interjeté appel, sans attendre le jugement sur le fond, en argumentant que le BCO avait excédé ses pouvoirs en lui ordonnant de fournir le chiffre d’affaires d’une personne avec laquelle il n’avait aucune relation contractuelle ou extracontractuelle.

Production forcée de pièces

Pour rappel, le Conseil de Prud’Hommes peut forcer une partie au procès à produire une pièce, comme par exemple en cas de soupçon d’inégalité salariale. Mais dans le cas concret, il ne s’agissait pas du bureau de jugement mais du Bureau de Conciliation et d’Orientation. L’employeur a considéré que les pouvoirs du BCO étaient outrepassés.

Procédure et pouvoirs du Bureau de Conciliation et d’Orientation

Pour rappel, en cas de procédure devant le Conseil de prud’hommes, les parties sont convoquées, sauf cas spécifiques, à l’audience dite de conciliation devant le BCO.

A ce stade, les conseillers ont reçu la requête du demandeur et tentent de concilier les parties. La partie défenderesse n’est pas obligée de fournir des pièces ou des conclusions lors de cette audience, mais elle peut le faire si elle le souhaite. Cette audience a pour objectif de concilier les parties et d’éviter que la procédure ne se poursuivre devant le bureau de jugement. Pendant cette audience, les parties, représentées ou non par leur avocat, donnent leurs versions des faits. Il s’agit d’une audience non ouverte au public. Le litige peut se terminer si les parties signent un procès-verbal de conciliation. Autrement, la procédure se poursuit.

Conformément à l’article R. 1454-14 du Code du travail, le BCO a plusieurs pouvoirs :

  • Entendre les parties ;
  • Inviter les parties à fournir des explications ;
  • Mettre en demeure les parties de produire des pièces pour éclairer les conseillers prud’hommaux.

Possibilités de recours contre le jugement rendu par le BCO

Le jugement rendu par un BCO peut être frappé d’appel ou d’un pourvoi en cassation mais seulement en même temps que le jugement rendu sur le fond par le bureau de jugement. Ces recours sont donc différés afin d’éviter de nombreuses procédures parallèles.

Cependant, cette règle ne s’applique pas si la décision rendue par le BCO est entachée d’un excès de pouvoir. Cela résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

La Cour de cassation se prononce régulièrement sur la notion d’excès de pouvoir au sujet de jugements rendus par le BCO.

Injonction valable de remise de pièces par le BCO

Dans le cas concret soumis aux juges à propos de la remise forcée de documents comptables, l’argumentaire de l’employeur n’a pas fonctionné. La Cour d’appel de Bourges a déclaré l’appel irrecevable et la Cour de cassation a confirmé la position de la Cour d’appel.

La chambre sociale de Cour de cassation a précisé que le BCO qui ordonne à l’employeur de fournir une pièce n’excède pas ses pouvoirs et qu’ainsi, le jugement du BCO ne peut être frappé d’appel qu’en même temps que le jugement rendu par le bureau de jugement.

La Cour de cassation retient que «la cour d’appel a relevé que cette formation, saisie d’un litige relatif à la détermination de la rémunération variable de la salariée, avait apprécié, en fonction des éléments qui lui étaient soumis et des intérêts en présence, la nécessité d’ordonner à l’employeur la communication de documents utiles à la solution du litige et en rapport avec lui. Elle en a exactement déduit que le bureau de conciliation et d’orientation n’avait pas commis d’excès de pouvoir».

La Cour de cassation a rappelé que le BCO dispose, conformément à l’article R. 1454-1 du Code du travail, du pouvoir d’ordonner des mesures d’instruction permettant notamment la conservation des preuves.

Le BCO pouvait donc ordonner à l’employeur de fournir des documents utiles à la résolution du litige.

Pas d’excès de pouvoir même si l’employeur ne détient pas la pièce demandée

Finalement, le fait que l’employeur puisse être contraint de fournir des éléments de preuve ne posait pas vraiment de difficulté. Mais ici, l’employeur considérait qu’il n’était pas en possession des documents demandés et qu’il n’avait aucun moyen de les exiger de ce tiers. Il estimait donc pour cette raison que le BCO avait excédé ses pouvoirs.

La Cour de cassation n’a pas cherché à savoir si les pièces demandées étaient ou non détenues par l’employeur.

Il est vrai qu’on ne peut enjoindre à une partie de communiquer des pièces qu’elle ne détient pas, mais la Cour de cassation considère que l’erreur de droit n’est pas constitutive en elle-même d’un excès de pouvoir. Ainsi, la Cour de cassation ne fait pas de la détention d’une pièce un critère utile permettant de caractériser l’existence ou non d’un excès de pouvoir.

La jurisprudence a fait de l’excès de pouvoir une notion fonctionnelle. Elle doit être appréciée au regard de l’utilité d’ouvrir immédiatement ou non une possibilité de recours.

Ainsi, si une partie sommée de fournir une pièce ne la détient pas et qu’elle ne peut pas la verser aux débats, elle ne pourra pas vraiment être sanctionnée. En conséquence, en raison de cette impossibilité qui restera non sanctionnée, l’utilité d’ouvrir un recours immédiat semble non démontée.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

Tous droits de propriété intellectuelle réservés

Photo: Francescosgura

2 réponses à « Remise de pièce au Conseil de Prud’hommes »

  • Bonjour Maître

    Serais il possible de saisir les prud’hommes en tant que français sur une période de travail effectue en Bulgarie avec un contrat Bulgare, dans une boite française qui y a déplacé des activité ?.

    Avec mes remerciements.

    • Bonjour,

      La juridiction compétente en matière de droit du travail est fixée par l’article 21 du règlement européen n° 1215/2012.

      Néanmoins, cette indication reste très générale et peut s’avérer fausse en raison des particularités de faits concrets. Notre réponse n’a pas valeur de consultation mais éclaire simplement notre article.

  • Laisser un commentaire

    Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

    * Mentions obligatoires

    Vous avez une question sur ce point juridique et avez besoin d’un avocat ?