Quand peut-on considérer qu’un stage peut être requalifié en contrat de travail?
24.10.16Clarification dans un arrêt récent des critères pour l’existence d’un contrat de travail avec le stagiaire
La Cour d’appel (Landesarbeitsgericht-LAG) de Berlin-Brandenburg a précisé dans un arrêt en date du 20 mai 2016 les grands principes à retenir en droit du travail allemand pour la distinction entre un stage et un contrat de travail. Cette décision peut être utile à de nombreuses entreprises et est à ce titre particulièrement intéressante.
Stage en tant que rédactrice d’un magazine
Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel, la demanderesse, qui avait été engagée en tant que « stagiaire » en Allemagne, demande le versement d’un salaire de rédactrice selon la convention collective applicable, déduction faite de la gratification à hauteur de 400 euros qu’elle avait perçue en tant que stagiaire pour le travail qu’elle a réalisé entre le 4 novembre 2013 et le 3 novembre 2014 dans la société qu’elle a assignée et qui est la rédaction d’un magazine.
La stagiaire avait postulé peu de temps avant la fin de ses études à un poste de rédactrice stagiaire auprès d’un magazine. Elle avait conclu le 21 novembre 2013 une « convention de stage » d’une durée d’un an. La stagiaire soutenait que les tâches qu’elle avait accomplies pendant son stage correspondaient à des tâches de rédactrice débutante et qu’elle avait été employée en tant que salariée à part entière. L’aspect formation n’aurait été que purement symbolique. Elle aurait été une fausse stagiaire. La demanderesse demande ainsi la condamnation du magazine à lui verser un salaire équivalent à celui d’une rédactrice débutante.
Le magazine a demandé au conseil de prud’hommes allemand (Arbeitsgericht) le rejet de la demande. Selon le magazine, il aurait été fait application de la convention de stage et l’activité de la stagiaire se serait limitée à une participation aux tâches sous surveillance et dans un seul but de formation.
Les tribunaux du fond donnent raison à la „stagiaire“
Le Conseil de prud’hommes de Berlin a acquiescé à la demande par décision en date du 9 juillet 2015 (18 Ca 1314/15). Le magazine a fait appel de cette décision auprès de la Cour d’appel de Berlin-Brandenburg le 14 octobre 2015.
La Cour d’appel a considéré que l’appel était infondé. La Cour d’appel de Berlin-Brandenburg a ainsi confirmé la décision du conseil de prud’hommes de Berlin en se référant aux motifs retenus par ce dernier.
L’aspect formation n’était pas au premier plan de l’activité de la prétendue « stagiaire »
La Cour d’appel de Berlin-Brandenburg considère que le contrat entre les parties est un contrat de travail et non un contrat de stage. Elle se réfère tout d’abord à la jurisprudence de la Cour fédérale allemande du travail (Bundesarbeitsgericht-BAG), selon laquelle „un stagiaire est de manière générale employé à titre temporaire dans une société afin d’acquérir les connaissances pratiques et l’expérience nécessaires pour la préparation à l’exercice d’un métier“ et qu’on ne peut dès lors retenir la qualification d’un stage que lorsque l’aspect formation est au premier plan (BAG du 13 mars 2008, 6AZR 564/01).
Ainsi, les stages effectués par des personnes ayant fini leurs études et qui ne servent que de levier à l’entrée sur le marché du travail, mais dans le cadre desquels les tâches accomplies sont majoritairement celles d’un véritable salarié, ne sont pas de vrais stages mais seulement des stages fictifs qui constituent donc en définitive de véritables relations de travail.
La Cour d’appel rappelle en outre que la nature du contrat du contrat ne dépend pas de la qualification qu’en ont fait les parties mais que ce qui compte avant tout, c’est son véritable contenu.
Elle précise enfin que c’est au stagiaire de prouver qu’il était soumis à une véritable relation de travail. Ce dernier bénéficie cependant de règles de preuve allégées.
L’employeur doit réfuter l’existence d’un contrat de travail contenant des dispositions typiques à un tel contrat
Dans le cas soumis aux juges, la „convention de stage“ contenait des obligations typiques d’un salarié, à savoir en particulier une durée minimale de travail de 8 heures par jour, une obligation de preuve par un certificat maladie en cas d’incapacité de travail, une „rémunération“ et des dispositions relatives aux congés payés. En outre, la „convention de stage“ contenait certes des obligations de formation mais qui n’étaient pas prédominantes et aucun plan de formation n’était joint à la convention.
Dans cette affaire, il convenait également de prendre en compte la durée du contrat. En effet, selon la définition de la Cour fédérale allemande du travail, un stage est par vocation temporaire. Un stage d’un an à temps plein n’est donc plus temporaire.
Sur la base de ces motifs, le magazine n’était pas en mesure de réfuter l’existence d’un contrat de travail. La Cour d’appel a ainsi jugé que l’activité exercée par la rédactrice correspondait à celle d’une rédactrice au sens de la Convention collective des magazines, laquelle devait en vertu de la convention collective habituellement applicable à cette branche d’activité être rémunérée à hauteur d’environ 3 000,00 euros. La gratification à hauteur de 400,00 euros était dès lors illicite. Il existait, en effet, un déséquilibre significatif entre la prestation et la contrepartie, lequel devait même être qualifié d’ « inacceptable » au sens du § 138 al. 1 du Code civil allemand (Bürgerliches Gesetsbuch-BGB).
Le magazine a ainsi été condamnée à verser à la partie demanderesse la différence entre le montant de la gratification pour le stage à hauteur de 400,00 euros et le montant d’une rémunération classique pour une rédactrice débutante dans la branche d’activité concernée à hauteur d’environ 3 000,00 euros.
Les employeurs en Allemagne sont invités à être très prudents concernant le recours aux stagiaires et à éviter que les critères du contrat de travail rappelés par les juges allemands dans la décision de la Cour d’appel de Berlin-Brandenburg ne soient remplis.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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