Quand un syndicat peut-il s’opposer à un accord d’entreprise ?
06.03.17JArrêt inédit sur l’opposition par un syndicat à la signature d’un accord d’entreprise
La négociation en entreprise est un thème sensible en droit du travail, qu’il est difficile de réformer. La jurisprudence pallie ainsi parfois les carences du législateur comme dans cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 janvier 2017.
En matière de négociation collective, le droit du travail français prévoit que les syndicats majoritaires ont la possibilité de s’opposer à l’entrée en vigueur d’un accord d’entreprise. L’accord d’entreprise est un accord collectif conclu au niveau d’une entreprise, soit entre l’employeur et les syndicats de salariés représentatifs, soit entre l’employeur et les représentants du personnel et s’appliquant exclusivement à celle-ci.
La Cour de cassation a précisé pour la première fois dans cet arrêt en date du 10 janvier 2017 que pour être recevable, l’opposition à un accord d’entreprise doit être:
- exprimée par écrit;
- être motivée;
- et être reçue par les organisations signataires avant la fin d’un délai de 8 jours.
Le droit des organisations représentatives des salariés de s’opposer à un accord d’entreprise
Un accord d’entreprise relatif aux conditions de travail des conducteurs receveurs de bus au sein de la régie des transports publics de l’agglomération toulousaine (EPIC Tisseo) a été signé le 10 février 2014 par le syndicat CFDT et le syndicat CGT.
Ces deux organisations syndicales avaient recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l’EPIC Tisseo. Elles étaient donc représentatives et ainsi habilitées à signer des accords collectifs.
L’accord signé a été envoyé aux organisations représentatives de salariés par un courrier électronique du 11 février 2014. Cependant, deux autres syndicats représentatifs dans l’entreprise, le syndicat SUD et le syndicat FO, qui avaient recueilli ensemble plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, ont formé opposition à l’entrée en vigueur de l’accord. Ils avaient pour ce faire jusqu’au mercredi 19 février à minuit.
Le syndicat SUD a exercé son droit d’opposition par lettre adressée le 18 février et reçue le 20 février par les organisations signataires de l’accord d’entreprise. L’établissement public (EPIC Tisseo) a décidé, au vu de cette opposition syndicale, de ne pas appliquer l’accord d’entreprise.
La date de réception du courrier conditionne la validité du droit d’opposition des syndicats
L’un des syndicats signataires (CFDT) de l’accord a immédiatement cherché à remettre en cause sur le plan formel l’opposition de FO et SUD. Il a en effet fait valoir que l’opposition à l’entrée en vigueur de l’accord d’entreprise était irrégulière, au motif que le courrier a été reçu après le délai légal de 8 jours. Il a en conséquence demandé en justice de faire constater l’irrégularité de l’opposition pour le voir appliqué.
La Cour d’appel n’a pas suivi le raisonnement de la CFDT et a jugé que le délai légal s’interrompt non pas à la date de réception mais à la date d’émission de l’opposition par les syndicats contestataires.
La Cour de cassation a adopté un raisonnement différent de celui des juges d’appel. Pour la Cour de cassation, c’est la date de réception du courrier qui conditionne la validité du droit d’opposition. Elle a par conséquent estimé que le syndicat contestataire (syndicat SUD) avait dépassé le délai de prescription de 8 jours pour former opposition. Dans le cas de l’accord de la régie des transports toulousains, le courrier du syndicat aurait dû arriver au plus tard le 19 février aux organisations signataires suite à la notification de l’accord.
Un droit d’opposition bientôt obsolète
La solution de la Cour de cassation aura toutefois une portée limitée dans le temps puisque la loi El Khomri du 8 août 2016 a modifié les règles de validité des accords collectifs au niveau de l’entreprise, supprimant ainsi le droit d’opposition tel qu’il existe aujourd’hui.
Depuis le 1er janvier 2017 s’applique le principe de l’accord majoritaire au sein des entreprises. Ainsi, sont considérés comme majoritaires les accords signés par les organisations représentatives recueillant plus de 50% des suffrages en faveur des organisations représentatives.
Mais à défaut de majorité, les syndicats minoritaires, représentant plus de 30% des salariés, pourront demander l’organisation d’un référendum pour valider cet accord. Ces nouvelles règles sont, pour mémoire, applicables de manière successive selon un calendrier précis depuis le 1er janvier 2017.
Ces nouvelles mesures concernant les accords majoritaires ont fait grand bruit, car elles changent le mode de fonctionnement de la négociation en entreprise. Elle exige une plus grande représentativité des syndicats signataires de l’accord qu’auparavant et en contrepartie ne laisse plus de place à la contestation par les autres syndicats par le biais de l’opposition.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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