Que deviennent les accords d’entreprises en cas de transferts d’entreprise successifs ?
22.10.19Plusieurs transferts d’entreprise successifs
Il résulte de la directive sur le transfert d’entreprise que des conditions de travail définies dans des conventions collectives devaient être maintenues de la même manière que cela aurait été le cas pour le cédant, et ce jusqu’au licenciement ou jusqu’au terme de cette convention ou bien encore jusqu’à l’entrée en vigueur d’une autre convention collective. Cette règle a été transposée en droit allemand dans le § 613a alinéa 1 phrases 2, 3 et 4 BGB (Code civil allemand). Mais quelle est la situation juridique quand il s’agit de transferts d’entreprise successifs ? Cette question a été l’objet d’une décision de la Cour fédérale du travail allemande (Bundesarbeitsgericht, BAG) du 12 juin 2019.
Régime de pension dont veut bénéficier le salarié transféré
Le salarié à l’origine de l’action avait été employé depuis 1987 dans une entreprise qui produisait et vendait des appareils techniques. En 1992, cette entreprise a conclu avec le comité central de l’entreprise un régime de pensions (BV 1992). Ce régime prévoyait une pension, dont le montant se calculait sur la base de la période de travail effective et le revenu. En 1999, le département du salarié a été transféré à un autre site de production dans le cadre d’un transfert d’entreprise partiel. Ainsi, tous les salariés employés dans cette partie de l’entreprise ont été repris.
En mai 2013, la production a été fusionnée avec l’entreprise qui est défenderesse dans la procédure. Dans cette entreprise un accord d’entreprise général (GBV 2008) de régime de pension complémentaire professionnel était en vigueur depuis 2008. Cette convention prévoit une pension indexée sur les cotisations et s’applique à tous les employés nouvellement embauchés dans l’entreprise depuis 2008. Par ailleurs, la défenderesse a conclu un plan social avec le comité d’entreprise stipulant que les droits acquis dans le cadre du BV 1992 devaient être crédités en tant qu’éléments sur le compte d’épargne retraite.
Le salarié argumentait que le BV 1992 était devenu un élément de son contrat de travail lors du transfert sur le site de production. Ainsi, ce régime de pension devait continuer à s’appliquer pour lui. Dans les premières instances, le salarié n’a pas eu gain de cause et son pourvoi en cassation n’a pas non plus abouti.
Selon la Cour fédérale du travail, le BV 1992 a été remplacé par la GBV 2008 lors du transfert d’entreprise sur la défenderesse. Selon le tribunal, ceci résulterait du droit du travail allemand transposant le doit européen, à savoir le § 613a alinéa 1 phrase 3 BGB.
Caractère juridique de normes collectives transformées
Dans un premier temps, le BAG a constaté que les normes du BV 1992 devaient dans tous les cas continuer à s’appliquer sur la relation de travail transférée aux termes du § 613a alinéa 1 phrase 2 BGB. En principe, chez l’employeur d’origine le BV 1992 s’appliquait selon § 77 alinéa 4 phrase 1 BetrVG de manière directe et obligatoire au salarié.
Selon le § 613a alinéa 1 phrase 2 BGB, les droits et devoirs des salariés inscrits dans un accord d’entreprise entrent en tant que normes transformées dans la relation de travail avec le cessionnaire de l’entreprise. Cela ne signifie pas pour autant que l’accord d’entreprise devient un élément du contrat individuel de la relation de travail transférée. Les normes transformées gardent leur caractère de droit collectif. Ainsi, la Cour fédérale du travail a confirmé l’opinion dominante dans la littérature juridique ainsi que sa jurisprudence du 22 avril 2009, dans laquelle elle se distance explicitement de sa vue antérieure qui consistait à considérer que des normes collectives – dans ce cas des normes tarifaires – devenaient une partie du contrat de travail après un transfert d’entreprise.
Validité d’accords collectifs en cas de plusieurs transferts d’entreprise
Dans un deuxième temps, le BAG a constaté que les normes transformées du site de production s’appliquaient également à la défenderesse après le transfert d’entreprise de mai 2013 selon le § 613a alinéa 1 phrase 2 BGB pour les contrats de travail transférés, donc également pour le salarié concerné. Les normes transformées n’ont donc pas été plus protégées que si elles avaient continué à s’appliquer de manière collective. Le § 613a alinéa 1 phrase 1 BGB ne s’applique alors aucunement.
En l’espèce, deux règlements collectifs entraient en collision. Le principe de remplacement sur lequel se base le § 613a alinéa 1 phrase 3 BGB fait donc que la BV 1992 est remplacée par la GBV 2008. La condition pour cela est d’une part que les deux accords d’entreprise portent sur le même objet et d’autre part que les salariés transférés entrent dans le champ d’application du nouvel accord d’entreprise. C’était le cas en l’espèce, donc le salarié ne pouvait plus invoquer la BV 1992.
Plus grande marge de manœuvre après le transfert d’entreprise
Selon la jurisprudence il n’est pas nécessaire, conformément au § 613a alinéa 1 phrase 3 BGB, d’assurer un standard minimum en droit collectif lors d’un transfert d’entreprise, pourvu qu’il existe pour la relation de travail un autre standard minimum collectif qui est fondé et applicable entre les parties. Ce standard peut aussi prévoir des conditions de travail moins favorables qu’avant pour le salarié, car le principe de faveur ne s’applique pas pour le remplacement.
Dans la pratique, cette décision est très importante, car il a été établi que des normes transformées pouvaient selon le § 613a alinéa 1 phrase 3 BGB être remplacées, même plus tard, par des accords collectifs. Ainsi, la Cour fédérale du travail a apporté de la clarté juridique et offert une grande marge de manœuvre aux parties, afin d’harmoniser les conditions de travail des anciens et nouveaux salariés dans le cas d’un transfert d’entreprise.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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