Accord d’entreprise: consentement des salariés requis?
01.09.20Adoption d’un accord d’entreprise en Allemagne
En droit du travail allemand, selon le § 77 de la loi allemande sur la participation des salariés dans l’entreprise (Betriebsverfassungsgesetz, BetrVG), les accords d’entreprise sont des accords écrits entre le comité d’entreprise et l’employeur qui régissent au-delà des règles légales les conditions de travail des salariés ou d’un groupe de salariés. Ils sont directement applicables et obligatoires. Ils confèrent des droits et imposent des obligations à l’employeur, au comité d’entreprise et aux salariés.
En principe, un accord d’entreprise ne peut pas porter sur les rémunérations et sur les autres conditions de travail qui sont réglementées par la loi ou régies par des conventions collectives. Pourtant, cette règle ne s’applique pas lorsque la convention collective prévoit une clause dite d’ouverture qui autorise expressément la conclusion d’accords d’entreprise complémentaires.
Si le contrat de travail d’un salarié contient une disposition qui s’écarte de l’accord d’entreprise, la disposition du contrat de travail peut prévaloir si elle lui est plus favorable. Mais attention : les questions individuelles à cet égard nécessitent une analyse juridique précise.
Les accords d’entreprise sont décidés par l’employeur et le comité d’entreprise. En cas de succès des négociations, l’accord est en général signé par les deux parties, sauf exceptions.
Un accord d’entreprise adopté par vote de 80% des salariés
Le Tribunal fédéral du travail (Bundesarbeitsgericht, BAG) a rendu le 28 juillet 2020 (1 ABR 4/19) une décision qui nous éclaire sur les modalités d’adoption d’un accord d’entreprise. En l’espèce, un employeur a conclu un accord d’entreprise sur les performances avec le comité d’entreprise. Cet accord devait s’appliquer aux salariés travaillant dans l’entrepôt et prévoyait des dispositions en matière de rémunération variable. Ainsi, la rémunération variable devait être composé d’une part de l’assiduité et d’autre part des performances. L’entrée en vigueur de l’accord d’entreprise était subordonnée à la condition que 80 % des votes exprimés par les salariés concernés par l’accord l’approuvent individuellement par écrit à l’expiration d’un délai fixé par l’entreprise. Dans l’hypothèse où le taux d’approbation de 80 % ne serait pas atteint, l’entreprise se réservait le droit de déclarer que le taux atteint était tout de même suffisant.
Le quorum d’approbation de 80 % a été atteint dans l’entreprise. Néanmoins, plusieurs salariés ont intenté des poursuites devant le conseil des prud’hommes de Munich concernant l’accord d’entreprise. Ils contestaient les réductions de la prime liée à l’assiduité en cas de congés maladie qui étaient prévues dans l’accord. Par la suite, le comité d’entreprise a révoqué sa déclaration de volonté sur l’accord d’entreprise pour dol. Selon le comité d’entreprise, au cours des négociations sur la conclusion de l’accord d’entreprise, l’ancien directeur général de l’employeur avait délibérément et frauduleusement trompé le comité en déclarant que la situation des rémunérations ne se détériorerait pas à cause du nouvel accord sur la rémunération variable. Le comité d’entreprise a alors saisi les tribunaux pour que l’accord d’entreprise soit déclaré nul. En outre, le comité d’entreprise argumente que l’accord en l’espèce ne serait pas un accord d’entreprise au sens du § 77 BetrVG, car il n’y avait pas d’effet direct et obligatoire compte tenu de la disposition concernant le taux d’approbation.
La validité d’un accord d’entreprise ne peut pas être subordonné au consentement des salariés
Les premiers juges ont rejeté la demande d’annulation. Ils ont considéré, entres autres, que la disposition selon laquelle l’accord d’entreprise entre en vigueur à la condition que 80 % des voix exprimées par les travailleurs aient approuvé l’accord, n’empêche pas que l’accord d’entreprise ait un effet direct et obligatoire. Par conséquent, cette disposition n’a pas d’effet sur la validité de l’accord, selon les juges de première instance. Le recours devant le Tribunal fédéral du travail a, en revanche, abouti. La plus haute juridiction allemande en matière de droit social a jugé que l’employeur et le comité d’entreprise ne peuvent pas faire dépendre la validité d’un accord d’entreprise du consentement des salariés concernés.
Le Tribunal fédéral du travail justifie sa décision en se référant aux principes structurels de la constitution sociale de l’entreprise : Le comité d’entreprise qui est élu par les salariés et qui est le représentant des salariés, est un organe indépendant de la constitution sociale de l’entreprise et agit en son nom propre en vertu de son mandat. Selon le BAG, le comité n’est donc pas lié par les instructions des salariés et son action est indépendante de leur consentement.
Le BAG fait référence à l’effet direct et obligatoire de l’accord d’entreprise. Selon les juges allemands, il en résulte que, indépendamment de la volonté des parties au contrat de travail ou de leur ignorance de l’accord d’entreprise, les conditions de travail existantes ou futures entrent dans le champ d’application d’un tel accord. Les juges affirment que cela a pour conséquence que la validité d’un accord d’entreprise ne peut pas être subordonnée à la condition qu’un certain nombre de salariés approuve individuellement l’accord d’entreprise. L’accord d’entreprise en question est donc nul.
La validité d’un accord d’entreprise ne peut donc pas être laissée à l’appréciation des salariés.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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