Réparation du préjudice du salarié victime d’un accident du travail ?
13.06.18Décision de justice inédite sur la réparation du préjudice lié à l’accident du travail
Dans un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 3 mai 2018 , la Haute juridiction nous éclaire sur les conditions de la réparation du préjudice d’un salarié déclaré inapte suite à un accident de travail.
Accident du travail et préjudice lié à la déclaration d’inaptitude
Il s’agissait d’un ouvrier du bâtiment victime d’un accident du travail. Suite à cet accident, il doit se faire amputer des 4ème et 5ème doigts de la main gauche et son 3ème doigt ne fonctionne plus. Ce salarié est déclaré inapte à son poste ainsi qu’à tout autre poste dans l’entreprise par le médecin du travail. Suite à cette déclaration du médecin du travail, l’employeur licencie ce salarié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement . Contestant son licenciement, le salarié a saisi les juridictions compétentes pour demander notamment le versement de dommages et intérêts du fait d’une diminution de ses droits à la retraite. Il prétendait en effet que son inaptitude aurait des incidences sur sa recherche d’emploi puisque ses capacités physiques étaient diminuées et qu’ainsi cette situation aurait un impact sur sa capacité à cotiser dans le système de retraite.
Faute inexcusable de l’employeur en lien avec l’accident du travail
Le tribunal des affaires de sécurité sociale a reconnu l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur selon la définition du droit social à l’origine de l’accident du travail et a donc porté la rente versée au salarié suite à son accident de travail à son maximum. La reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur conduit en effet à une majoration automatique de la rente à son maximum.
La faute inexcusable est un concept jurisprudentiel destiné à protéger les salariés de la négligence ou de la légèreté blâmable de leur employeur. Les juges estiment qu’est inexcusable une faute si l’employeur avait conscience ou, en raison de son expérience et de ses connaissances techniques, aurait dû avoir conscience du danger encouru par les salariés, et qu’il n’a pas pris les dispositions nécessaires pour les en préserver.
L’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale prévoit le versement d’une rente en cas de faute inexcusable de l’employeur au salarié ayant vécu un accident de travail ou développant une maladie professionnelle. La reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur entraîne une majoration de la rente versée au salarié pour son accident du travail. Ceci s’explique par le fait que très souvent, comme c’est le cas en l’espèce, les salariés sont déclarés inaptes et ne peuvent plus exercer leur métier d’origine. Autrement dit, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime a droit à la réparation plus complète de son préjudice.
Préjudice lié à la diminution des cotisations à la retraite ?
Dans le cas du salarié du bâtiment amputé de ses doigts, celui-ci a formé un recours en appel. Le salarié se prévalait d’un autre poste de préjudice, estimant que ce dernier n’était pas réparé par le versement de la rente : la diminution de ses droits à la retraite. Constatant que la perte de deux doigts et l’impotence de la main gauche qui en résulte handicapaient le salarié dans sa recherche d’un emploi manuel, la Cour d’appel a ordonné la réparation du préjudice subi par le salarié, en lui octroyant des dommages-intérêts spécifiques pour le préjudice issu de la perte des droits à la retraite.
La Cour de cassation a décidé de casser la décision rendue par la Cour d’appel, estimant en effet que le salarié ne pouvait faire valoir la réparation d’un nouveau préjudice pour la perte de ce droit à la retraite, puisque ce préjudice était déjà réparé par la rente majorée versée au salarié.
En adoptant cette solution, la Cour de cassation est dans la droite lignée de sa jurisprudence datant du 9 janvier 2015. Cette jurisprudence a des conséquences préjudiciables pour les victimes d’accident du travail qui voient leur indemnisation fortement réduite, les plaçant dans une situation d’inégalité et d’insécurité juridique notable par rapport aux victimes d’autres faits dommageables. La Cour de cassation décide en effet au cas par cas quel poste de préjudice est « inclus » dans la rente et lequel ne l’est pas, laissant salariés et employeurs dans l’incertitude.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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Photo: Rocco D’auria