Délit de banqueroute commis par celui qui s’abstient d’agir ?
06.07.23Peut-on être responsable et condamné à la banqueroute quand on s’abstient d’agir en cas de cessation de paiement d’une entreprise ? Une décision récente de la justice a considéré que l’abstention suffit, ce qui soulève des questions importantes sur la responsabilité des personnes impliquées dans une procédure collective.
Infraction de banqueroute dans la procédure collective
Parmi les infractions financières pouvant être reprochées à un chef d’entreprise, la banqueroute fait partie des plus connues. Concrètement, il s’agit pour celui-ci, alors que son entreprise est en état de cessation des paiements, d’accomplir des actes volontairement frauduleux entrainant une aggravation de la situation financière de l’entreprise. A ce titre, l’article L654-2 du code de commerce détaille les cinq faits assimilés au délit de banqueroute, l’un d’entre eux consistant en l’augmentation frauduleuse du passif du débiteur qui conduit au dépôt de bilan. C’est précisément cet agissement qui est au cœur de l’arrêt rendu le 1er février 2023 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans lequel elle a semblé considérer que l’augmentation frauduleuse du passif pouvait consister en une abstention (par opposition à un acte positif).
Non-paiement des cotisations sociales de l’entreprise
Dans les faits à l’origine de l’arrêt, un travailleur indépendant exploitait un fonds de commerce de remise en forme. Il n’avait pas payé la contribution sociale généralisée (CSG) ni la contribution au remboursement de la dette sociales (CRDS), dus à l’URSSAF au titre de son régime obligatoire de sécurité sociale. L’URSSAF a donc fait délivrer de multiples contraintes à son encontre, qu’il a contestées devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale (TASS) puis devant la Cour d’appel. Ses arguments n’ayant pas été entendus, il a alors été condamné à payer 45 818,00€ au titre des cotisations non-réglées et 35 905,86€ au titre des dommages et intérêts et frais irrépétibles.
Un huissier de justice a été chargé par l’URSSAF du recouvrement de ces créances. Cependant, pour faire échec aux mesures de recouvrement, le chef d’entreprise a transféré la quasi-totalité de son patrimoine, personnel comme professionnel, à son fils. De ce fait, ne restait sur ses comptes bancaires presque plus rien.
L’URSSAF a saisi les juges pour faire constater l’état de de cessation des paiements et faire ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Le ministère public a ouvert une enquête pénale sur les conditions de cette liquidation judiciaire et le chef d’entreprise a été déclaré coupable, par le tribunal correctionnel, de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif. Le chef d’entreprise a considéré qu’il n’avait rien fait positivement et a contesté sa condamnation en cassation.
L’augmentation frauduleuse du passif peut résulter d’une omission
Pour le chef d’entreprise, l’augmentation frauduleuse du passif nécessiterait forcément une action de la part du chef d’entreprise : l’absence de paiement des cotisations sociales ne serait pas suffisant. Cet argument est à première vue entendable, puisque le droit pénal sanctionne en principe les actions répréhensibles d’une personne. A contrario, une personne qui ne fait « rien », donc qui ne commet pas d’action volontaire sanctionnée pénalement, ne devrait logiquement pas pouvoir être condamnée par un tribunal correctionnel.
Par un raisonnement inhabituel, divisé en deux temps, la Cour de cassation rejette pourtant dans sa décision du 1er février 2023 la position du chef d’entreprise. Dans un premier temps, les hauts-magistrats commencent par reprendre à leur compte les différents points soulevés par la Cour d’appel ayant conduit à la condamnation du chef d’entreprise :
- tout d’abord, en ne payant pas ses cotisations sociales, le chef d’entreprise a agi délibérément : le défaut de paiement n’est pas le résultat d’un oubli mais d’une volonté ;
- de plus, il a contesté en justice, à de multiples reprises, les contraintes délivrées par l’URSSAF : son comportement n’est donc pas une inaction mais correspond au contraire à des agissements répétés ;
- en outre, une augmentation frauduleuse du passif peut par exemple résulter du fait de soustraire volontairement une société à l’impôt en France ce qui est à l’origine d’un redressement fiscal ayant entraîné une augmentation des charges de la société en état de cessation des paiements ;
- ainsi, le manquement imputable au chef d’entreprise est une infraction pénale pour défaut de conformité aux prescriptions de la législation de sécurité sociale ;
- enfin, le caractère frauduleux des agissements est corroboré par le fait que le chef d’entreprise a soustrait une partie des sommes non-payées à l’URSSAF des comptes de son entreprise pour les rendre insaisissables et que son comportement a conduit à la cessation des paiement alors que la société disposait du patrimoine pour les payer.
Puis, dans un second temps, la Cour de cassation enfonce le clou en affirmant :
- qu’aucune modalité d’augmentation du passif n’est exclue par l’article L654-2, 3° du code de commerce : autrement dit, celui ne distingue pas entre action positive ou omission ;
- que le comportement du chef d’entreprise frauduleux dès lors qu’il consiste en une omission, manifestement délibérée, de s’acquitter des cotisations sociales dues.
Une omission ne conduit pas toujours à la banqueroute
En réalité, le fait qu’une omission puisse donner lieu à une augmentation frauduleuse du passif peut tout à fait se comprendre dans le cas d’espèce. Certes, le chef d’entreprise a eu un comportement passif en ne payant pas ses cotisations sociales, mais il savait pertinemment que celles-ci étaient dues, les a même contestées en justice de nombreuses fois et a sciemment refusé de les payer. D’une certaine manière, on pourrait dire qu’il a activement pris la décision de ne pas payer ses cotisations sociales, et ce à de multiples reprises. A n’en pas douter, c’est pour cette raison que la Cour de cassation prend bien soin de rappeler tous les arguments retenus par les juges du fond et d’insister sur la mauvaise foi du chef d’entreprise.
L’arrêt du 1er février 2023 comporte toutefois une incertitude, en raison du dernier motif retenu par la Cour de cassation. Evoqué ci-dessus, celui-ci mentionne que le comportement du chef d’entreprise est frauduleux « dès lors qu’il consiste en une omission, manifestement délibérée, de s’acquitter des cotisations sociales dues ». Ici, une telle affirmation ne pose pas de problèmes, tant les agissements répétés et volontaires du chef d’entreprise ont été caractérisés. Cependant, comment comprendre cet argument dans le cas d’une simple omission de payer les cotisations sociales, sans comportement actif du chef d’entreprise pour contester ces cotisations ou encore dissimuler son patrimoine ? Comment serait alors apprécié le caractère « manifestement délibéré » de l’omission ?
En définitive, l’arrêt du 1er février 2023 risque d’entrainer des disparités de traitement en fonction des juridictions pour des situations a priori identiques. Sans plus de précision de la Cour de cassation, tel juge du fond pourrait souverainement considérer, par exemple, qu’une omission de payer ses cotisations sociales après une relance est manifestement délibérée, là où un autre ne retiendrait aucune omission manifestement délibérée malgré l’existence d’une procédure d’exécution forcée, tant que le chef d’entreprise est resté passif…
En résumé :
Il faut retenir de cette nouvelle jurisprudence que le dirigeant de société doit être très vigilant sur ses actions et omissions quand la société commence à avoir des dettes qu’elle n’honore pas, surtout quand il s’agit de cotisations sociales ou d’impôts. Cela peut se retourner contre lui. Mais tout dépend des circonstances concrètes. C’est pourquoi il est plus prudent de se faire accompagner par un avocat en procédures collectives.
Françoise Berton, avocat en droit allemand
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