Les tribunaux judiciaires après la réforme de 2020

18.02.20  
Le tribunal judiciaire
Les tribunaux judiciaires après la réforme de 2020
Le tribunal judiciaire

Lancée dès le 6 octobre 2017 avec la présentation des chantiers de la justice par la Garde des Sceaux et le Premier Ministre, la réforme judiciaire promise par le gouvernement est entrée en vigueur le 1er janvier 2020. Son objectif officiel est très ambitieux : « offrir une justice plus lisible, plus accessible, plus rapide et plus efficace au service des justiciables, des citoyens et de ceux qui rendent la justice ». Loin de bouleverser les procédures civiles et commerciales, elle introduit toutefois plusieurs changements notables. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici une présentation de certains éléments clefs.

Fusion des TI et TGI : une réforme modeste

L’un des éléments particulièrement relayés dans les médias à propos de la réforme, c’est la fusion des Tribunaux d’Instance et des Tribunaux de Grande Instance. Autrefois strictement séparées en raison de leurs domaines de compétence respectifs, ces deux juridictions se voient désormais supprimées (ou fusionnées selon la vision adoptée) au profit d’un tribunal unique, le Tribunal Judiciaire. Celui-ci est désormais la juridiction de droit commun en matière civile et commerciale, c’est-à-dire qu’il connaît de tous les litiges relatifs à ces matières, sauf à ce qu’une compétence spéciale ne soit expressément attribuée à une autre juridiction. Le Tribunal Judiciaire dispose également de compétences exclusives, notamment s’agissant de l’état des personnes, des successions ou encore de la majorité des litiges liés aux baux commerciaux.

Le Tribunal Judiciaire peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres de proximité appelées « tribunaux de proximité » dotées d’un greffe détaché. Leurs compétences et leurs ressorts sont fixés par décret, ceux-ci pouvant être étendus à d’autres domaines sur décision conjointe du premier président de la cour d’appel et du procureur général près cette cour. En pratique, les tribunaux de proximité ont remplacé les anciens tribunaux d’instance qui étaient situés dans une commune différente du Tribunal de Grande Instance. En Alsace par exemple, on parle désormais du Tribunal de proximité de Haguenau, du Tribunal de proximité d’Illkirch-Graffenstaden, etc.

Un nouveau juge apparaît également, en la personne du juge des contentieux de la protection (JCP). Concrètement, cette nouvelle fonction est désormais exercée par les anciens juges d’instance, dont la fonction a de facto été supprimée lors de la suppression des tribunaux d’instance. Ses attributions sont d’ailleurs en de nombreux points similaires à celles exercées auparavant par le juge d’instance, puisqu’il connaît entre autres du contentieux de la tutelle des majeurs, des actions tendant à obtenir l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre ou encore des actions dérivant d’un contrat de louage d’immeubles à usage d’habitation. Les JCP ne siègent toutefois pas automatiquement dans une chambre de proximité et exercent pour une bonne part au sein d’un tribunal judiciaire.

Cette réforme reste modeste d’un point de vue procédural dans la mesure où elle conduit surtout à réunir des juridictions et à en renommer d’autres. Il y aura probablement à terme une réduction d’une partie des effectifs du Tribunal Judiciaire ou des effectifs constants pour un volume d’affaires traitées toujours plus grand. Par exemple, la compétence territoriale des tribunaux français n’a pas été modifiée.

L’augmentation du taux de ressort

Autre évolution notable : le taux de ressort, au-dessus duquel l’appel est possible, a augmenté lors de l’entrée en vigueur de la réforme. Auparavant fixé à 4 000 euros, il est désormais de 5 000 euros. Depuis le 1er janvier 2020, lorsque le Tribunal Judiciaire statue sur une demande dont le montant est inférieur ou égal à 5 000 euros, il statue en dernier ressort, c’est-à-dire sans appel possible. Seul le pourvoi en cassation demeure ouvert, lorsqu’une erreur de droit a été commise.

Exemple : Raphaël a sévèrement endommagé l’ordinateur d’Albane. Celle-ci introduit une action devant le Tribunal Judiciaire pour obtenir une somme 2 000 euros en réparation de son préjudice matériel et de 1 000 euros au titre de son préjudice moral, soit 3 000 euros au total. Le Tribunal ne lui accorde que 1 500 euros. Le montant de sa demande initiale étant inférieur à 5 000 euros, Albane ne pourra pas interjeter appel de cette décision : la décision est rendue en premier et dernier ressort.

Le législateur s’est contenté de tenir un peu compte de l’évolution du coût de la vie.

L’extension apparente de la représentation obligatoire par avocat

A l’instar de la représentation devant l’ancien Tribunal de Grande Instance, l’obligation de constituer avocat devient la règle de principe devant le Tribunal Judiciaire et le Tribunal de Commerce (ou la chambre commerciale du Tribunal Judiciaire en Alsace-Moselle). Le délai octroyé au défendeur pour constituer avocat demeure 15 jours à compter de l’assignation. Donc, l’obligation de recourir à un avocat est théoriquement étendue aux matières autrefois traitées par le tribunal d’instance et le tribunal de commerce.

Toutefois, plusieurs exceptions à cette règle de principe sont prévues, de sorte que l’apparente extension de la représentation obligatoire par avocat n’apporte finalement pas de changement majeur. En effet, la représentation par avocat reste non-obligatoire dans les cas suivants :

  • Dans les matières relevant de la compétence du juge de l’exécution ;
  • Lorsque la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 euros ou a pour objet une demande indéterminée ayant pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 10 000 euros (sauf lorsqu’il s’agit d’une matière relevant de la compétence exclusive du Tribunal Judiciaire : dans ce cas les parties sont tenues de constituer avocat) ;
  • Dans certaines matières énumérées par le Code de l’Organisation Judiciaire.

Ainsi, au vu de la limite constituée par le montant de 10 000 euros, les règles gouvernant la représentation obligatoire sont en pratique peu affectées par la réforme judiciaire.

Le renforcement du recours obligatoire aux modes alternatifs de règlement des différends

Le Gouvernement poursuit sa politique (plus ou moins avouée) de déjudiciarisation de la société.

L’article 4 du décret du 11 décembre 2019 prévoit que lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle concerne un conflit de voisinage, celle-ci « doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative », sauf exceptions prévues par ce même article. Faute de quoi, l’irrecevabilité de la demande pourra être prononcée d’office par le juge. La réforme prévoit également la possibilité pour le juge de pouvoir enjoindre aux parties de recourir à la médiation, à tout moment de la procédure.

Cette évolution s’inscrit dans l’esprit de la loi du 18 novembre 2016 (dite loi J21), qui avait notamment rendu obligatoire pour les petits litiges du quotidien la tentative de conciliation. Face à l’engorgement chronique des tribunaux, le législateur fait donc le choix, à chaque réforme, d’accroître progressivement la place accordée aux modes alternatifs de règlement des différends.

Strasbourg, capitale de l’injonction de payer

A partir du 1er janvier 2021 au plus tard, l’ensemble du contentieux des injonctions de payer et des injonctions de payer européennes sera traité par une juridiction unique et dématérialisée qui siègera à Strasbourg. L’ensemble de la procédure fonctionnera de manière dématérialisée.

Si la réforme n’a rien de très révolutionnaire, elle va générer de nombreuses difficultés pratiques de mise en œuvre, tant pour les personnels des tribunaux que pour les avocats.

Françoise Berton, avocat en droit allemand

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Photo: scorcom

2 réponses à « Les tribunaux judiciaires après la réforme de 2020 »

  • Bjr,
    J’aimerais savoir sur quel fondement juridique a été instauré un taux de ressort monétaire ouvrant le droit à faire appel d’un jugement. Je me pose la question suivante : lorsqu’un juge motive sa décision sur le fondement d’un fait manifestement inexact sans que cela ne soit une erreur matérielle, comment le requérant débouté d’un « petit litige » peut-il faire rectifier l’erreur factuelle et redresser le jugement ?
    S’agissant d’une erreur factuelle et non d’une erreur de droit, un pourvoi en cassation ne serait pas recevable. Tel que je vois les choses, le taux de ressort monétaire conduit au déni de justice pour les soit-disant petits litiges et consacre une dangereuse notion de l’infaillibilité du juge! Il est en outre assez déroutant que la justice soit rendue différemment sur un critère purement monétaire.

    Cdt.

    • Bien que cela puisse être frustrant en cas de désaccord, les juges du fond disposent d’un pouvoir d’appréciation souveraine des faits qui leur sont soumis, quand bien même leur interprétation serait au yeux du justiciable inexacte. Ensuite, le taux de ressort a pour objectif d’éviter que des litiges d’un enjeu assez modique viennent « encombrer » les Cour d’appel : il s’agit d’un choix du législateur, qui fixe un plafond.

      Néanmoins, cette indication reste très générale et peut s’avérer fausse en raison des particularités de faits concrets. Notre réponse n’a pas valeur de consultation mais éclaire simplement notre article.

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